Bénédicte et Grégoire Hubau, vignerons de Fronsac

Il y a exactement 30 ans, Grégoire et Bénédicte Hubau pliaient bagages, et se préparaient à ouvrir un nouveau chapitre de leur vie : ils quittaient leur Picardie natale et s’apprêtaient à devenir vignerons.

Leur terre d’élection ? Bordeaux, et plus précisément Fronsac.

Quand je demande à Grégoire les raisons du choix, sa réponse est aussi lapidaire que synthétique : « le terroir ». Bénédicte complètera, si besoin était : « Quand on a découvert cet endroit, on en est littéralement tombé amoureux ».

C’est vrai qu’il y a de quoi être séduit, en haut de ce coteau surmonté des ruines d’un vieux moulin du 16ème… Le panorama à 360° offre une vue sur Saint-Emilion à l’Est, le pont d’Aquitaine et la Belle endormie au Sud, et puis des vignes, des bois, de vieilles bâtisses… Un paysage bucolique en diable, d’une douceur rare.

On est au cœur de l’appellation Canon-Fronsac, au lieu dit « Pey-Labrie ».

Au cœur du cœur – pour ne pas dire la crème de la crème – d’une appellation légèrement plus grande, Fronsac. Dans la famille des grandes AOC bordelaises, cette dernière est ni plus ni moins la soeurette de Saint-Emilion et Pomerol, les trois reines de la rive droite.

Difficile d’imaginer que Grégoire et Bénédicte ne sont pas du sérail, qu’ils ne sont pas enfants de vignerons eux-mêmes, qu’ils n’ont pas grandi ici.

Quand je leur rends visite, en ce premier jour de soleil du printemps, ce n’est pas la première fois que je les rencontre, ni que je déguste leur vin : ils font partie de cette famille incroyable de vignerons dits « natures », de ceux que l’on retrouve régulièrement dans les dégustations professionnelles de haute volée à Paris, mais aussi à la Dive bouteille à Saumur, aux Vins de mes amis à Montpellier, ou encore dans ces quelques salons « pépites » et improbables organisés par des passionnés et destinés aux particuliers, où l’on a envie de tout acheter : Villebarou, Brive, Lille…

Oui, le couple Hubau a su, en quelques années, se faire une place.

Grâce à une énergie et une ardeur au travail irréprochable, d’abord.

Grâce ensuite à des convictions très fortes, et qui ne vont faire que s’accroître, au fil des ans.

Quand ils s’installent, c’est 7 hectares qu’il faut gérer, avec des vignes hautement qualitatives, pour la plupart très âgées : certaines ont plus de 100 ans aujourd’hui, les plus « jeunes » en ont 50. Une chance pour des néo-vignerons qu’un tel patrimoine, mais aussi une difficulté : si une vigne de plus de 30 ans est réputée fournir des raisins plus concentrés, plus complexes et intéressants aromatiquement parlant, en revanche elle produit moins.

Ajoutez à cela la volonté dès le départ du couple de travailler leurs sols sans pesticides ni produits issus de la pétrochimie, et de toujours privilégier la qualité à la quantité, et vous obtenez une moyenne de rendement de 30 hl/ha, quand le quota de l’AOC en autorise 50.

Mais avec une telle éthique, qui se poursuit ensuite au chai, Bénédicte et Grégoire vont peu à peu se démarquer de cet espèce d’énorme gloubi-boulga  que représente le vignoble bordelais. Chez eux, la notion de Château n’apparaît que sur l’étiquette, et on préfère les barbecues géants dans le jardin avec les copains du Beaujolais, de la Loire ou du Languedoc que les dîners mondains aux quatre coins du globe.

Aujourd’hui, le domaine est réparti sur 14 hectares, une seconde moitié s’étant annexée avec l’acquisition des vignes sur le terroir du Château Haut-Lariveau. Deux noms de château pour un seul domaine, raisons cadastrales obligent, mais aussi différence de terroir : des sols calcaires pour le Moulin Pey-Labrie, argilo-calcaires pour Haut-Lariveau. En conséquence, des vins plus frais, plus tanniques pour le premier, et qui demandent donc patience et longueur de temps comme dirait l’autre.

Une caractéristique que comprennent très vite les Hubau, eux qui décident, dès le départ, de prendre le parti de ne commercialiser leurs cuvées que lorsqu’elles commencent à être prêtes. Peu importe si cela signifie des années d’immobilisation en cave.

On est loin du business plan ou de la course au profit…

Aussi, aujourd’hui, la cuvée la plus récente portant la mention « Château Moulin Pey-Labrie » est datée de 2007. Et pour les cuvées en parcellaire, comme cette exceptionnelle « Cuvée Bénédicte », élaborée avec les fameuses plus vieilles vignes du domaine, Grégoire accepte tout juste de lancer la vente des… 1997.
Quant aux vins de Haut-Lariveau, ils sont légèrement plus souples, plus accessibles… Il faut le dire vite, car aujourd’hui, vous aurez accès à des vins qui ont déjà 7 ans de garde : le Château Haut-Lariveau 2011 arrive tout juste sur le marché.

Vous l’aurez compris, on est un peu têtu, en haut de cette colline.

Et surtout, on ne cherche pas à séduire, le seul credo, c’est de faire bon.

L’exigence ici est à tous les niveaux : on aime le bon produit, que ce soit cette Côte de bœuf à la cuisson parfaitement maitrisée que nous sert Grégoire ou ces premières asperges de la saison qu’a été dénicher Bénédicte chez sa marchande de légumes bio. On aime le bon vin aussi. On goûte celui des autres, par curiosité, par passion aussi. Derrière son air bougon et ses râleries légendaires, Grégoire tient ainsi à nous faire déguster ce Sauvignon de ce jeune vigneron rencontré il y a peu, à qui il aimerait donner un coup de main.

L’habit ne fait pas le moine, l’apparente rustrerie non plus.

Qu’on ne s’y trompe pas : Grégoire n’est pas l’ours qu’il prétend, c’est un cœur sensible, un ami fidèle et un homme d’une rare générosité. En témoigne ce coup de fil que je prends au vol, où il est question de prendre le volant pendant 7 heures pour aller au chevet de cet ami hospitalisé. Ou encore ce dîner de fin de salon en janvier dernier, où, placée à ses côtés, je reçois un cours magistral de dégustation, sans aucune autre prétention que de me guider dans mon goût et mon éducation œnologique.

Il faut côtoyer Bénédicte aussi, pour avoir la pleine dimension de ce couple insolite : toujours rieuse, avec une énergie qui semble rarement s’éteindre, elle semble armée d’une humilité et d’une force de caractère inébranlables.

Un duo aussi troublant qu’intrigant, qui refuse toute mise en lumière mais qui expose chez eux comme sur leurs étiquettes les œuvres de leur ami de longue date, Michel Tolmer.

Tournés vers l’autre, curieux de tout, un panel d’expériences en poche et encore de beaux projets… qu’il est bon d’avoir 30 ans !

Merci Grégoire et Bénédicte pour cet accueil en toute simplicité, pour votre confiance dans vos confidences, et pour ce premier coup de soleil de l’année.