« Vous avez vu mes deux tracteurs ? »
Accueillis par Pascale un dimanche gris de décembre, le ton est donné. Les tracteurs, ce sont deux chevaux de traie, Jumpa et Fée, qui attendent gentiment leur prochaine ration de foin. Le premier approche de la retraite, le second n’a que deux ans, et entame tout doucement sa formation.
Oui, ici, rien n’est motorisé : « On a eu un tracteur, qu’on avait récupéré d’occasion, quand on s’est installé. On l’a regardé un an, sans savoir quoi en faire… On ne s’en est jamais servi. »
Derrière une apparente naïveté, Pascale est loin d’être la perdrix de l’année. Bien sûr qu’elle savait quoi en faire de cet engin, elle cette fille d’agriculteurs de Charentes-Maritime.
Mais pour à peine 2 hectares de vignes disséminées en 5 parcelles plus ou moins régulières, très vite, le constat est là : le cheval est le meilleur des outils.
Pour ne pas tasser les sols, pour s’adapter à des inter-rangs tous différents, pour apporter une fumure animale… pour plein de raisons en fait.
Pas de prêche dans la bouche de Pascale, jamais. De sa voix douce, elle explique leurs choix, leurs convictions, et admet que ce qu’elles ont mis en place depuis leur installation en 2009, avec Laurence, n’est pas forcément bon pour un autre.
Car on est avant tout pragmatique, au domaine des Closeries des Moussis.
Laurence et Pascale sont cartésiennes : leurs formations scientifiques en attestent, l’une diplômée oenologue, l’autre ingénieur en environnement.
Si le respect de la nature et le travail des sols ont été dès le départ une évidence, elles ont fait leur chemin à leur rythme vers une culture de plus en plus tournée vers le vivant.
Quand tu entends quelqu’un parler de la biodynamie, ça fait un peu peur.
C’est certain que, sans être initié, entendre parler de bouse que l’on enterre six mois dans une corne pour ensuite la pulvériser sur ses vignes à la prochaine lune, ça peut effrayer un tantinet.
Mais, poussées par la curiosité, les deux complices ont décidé de se pencher sérieusement sur la question… par le meilleur des tests qui soient : la dégustation. C’est par le goût qu’elles sont venues à la conclusion suivante : parmi des centaines de vins dégustés, ceux qui sortaient régulièrement du lot étaient issus de cultures en biodynamie.
Il y avait… une vibration, quelque chose.
Alors elles s’y mettent à leur tour, tout en gardant 6 rangs de vigne en culture biologique traditionnelle. En peu de temps, la différence est extraordinaire : le système racinaire est beaucoup moins développé, le port du pied de vigne n’a pas du tout le même profil.
Elles acceptent de ne pas pouvoir tout expliquer, de ne pas pouvoir tout comprendre. Mais le résultat est là. Visible.
Au chai, c’est pareil : on oscille entre une rigueur sans faille, et le voeu de savoir lâcher prise, de faire confiance au vin…
En témoigne ce fût de 2016, dont le vin est resté en macération près de 5 mois avant d’être entonné. Une aberration dans la région, où l’on décuve au plus vite dans les jours qui suivent la fin de la fermentation. Mais Pascale voulait tester, elle voulait étudier de plus près ces jus issus de vignes qui venaient de leur fournir près de 5 fois plus de raisins après une année de chouchoutage.
Accompagner avec grâce ces baies, jusqu’au bout.
Elle compare cette prise de risque à une course au long cours. Quand c’est ton corps et ton mental que tu dois discipliner, quand tu alternes phase d’euphorie et de découragement, de craintes et de joie pure. Savoir lâcher prise, oui, mais pas sans préparation.
Avec maîtrise et conscience, en somme.
Leurs vins sont à leur image : souples et structurés à la fois, d’une réelle finesse. Comme ces discussions que l‘on ouvre petit à petit, au fil de la confiance qui s’instaure.
À la fois discrète – il me faut tendre l’oreille plusieurs fois pour l’entendre – Pascale se fait rieuse à la première occasion. Et, face à ces vignes de 150 ans (!), elle s’agite, s’emballe, s’amuse de cette végétation mystérieuse qui cohabite avec certains ceps…
Si là il n’y a pas de petit lutin !
Une simplicité touchante, pour cette vigneronne dont 100 % des vignes ont gelé en 2017.
Pas de larmes, mais l’envie d’aller toujours plus loin, de pérenniser ce projet fou de faire du vin bio dans une région très accrochée au conventionnel, faire du vin de vigneron-paysan, tout en étant conscientes de n’être qu’une miette coincée entre ces brioches aux noms plus renommés les uns que les autres : Margaux, Lynch-Bages, Palmer…
D’ailleurs, quand elles ont créé leur domaine de toutes pièces, il y a neuf ans, hors de question de prendre un nom de château : « On fait du vin, il faut se détendre… »
Oui, il y a une vraie noblesse dans ce nectar qu’elles fabriquent, mais ce qu’elle ne veulent pas perdre de vue, c’est le partage, le plaisir de « boire des coups », tout simplement. Alors, comme elles sont toutes petites, minuscules même, au milieu de ces immenses propriétés du Bordelais, elles décident de s’appeler « Clos ». Mais comme elles n’ont pas une seule parcelle d’un seul tenant, et qu’elles sont deux femmes, ce sera au féminin pluriel. Elles choisissent d’y accoler « Moussis », clin d’oeil à ces petits arbustes des Charentes de la famille du prunier.
Le petit arbuste sauvage au milieu du grand verger… Le domaine des Closeries des Moussis était né.