Un paysan. Voilà ce que Timothée a très tôt voulu devenir.
Issu d’une famille très nombreuse, il a grandi au milieu des animaux, des cultures de son père, et conduisait un tracteur, dès l’âge de 7 ans.
Ce n’est qu’à l’âge où l’on commence à être autorisé à lever son verre avec les autres qu’il découvre que l’agriculture, ça peut aussi être ça : faire du vin.
« On ne buvait pas de grands vins chez moi, mon père ne s’y connaissait pas spécialement… Mais il y avait toujours une bouteille à table ».
Et ce souvenir, quand il avait 16 ou 17 ans : un déjeuner avec son père, un jour de gros oeuvre. Pour accompagner le casse-croûte, le paternel sort une vieille bouteille d’Alsace. L’émotion de la dégustation, oui, mais surtout de ce partage que la dive bouteille permet. Cette douce ivresse qui invite à la communion du plaisir entre père et fils. Une sieste s’imposa.
Alors c’est décidé, il sera paysan. Un paysan-vigneron.
Tout champenois qu’il est, il refuse catégoriquement de faire ses classes au lycée viticole d’Avize, pourtant lieu incontournable de formation de la région.
L’envie de voir du pays, de partir de chez les parents, la curiosité de découvrir un autre vignoble peut-être aussi. C’est ainsi qu’il débarque à Beaune. Il va y rencontrer des formateurs parmi les plus reconnus, et être initié – à une époque où tous ces mots résonnaient encore comme le chant des illuminés – à l’agriculture biologique… et à la biodynamie.
À cette époque, le projet est tout aussi clair que confus : s’il est convaincu qu’il sera vigneron, il ne sait pas bien encore où. L’Ardèche ou le Beaujolais, probablement, terres encore accessibles.
De sa famille, il n’attend rien : le seul à être vigneron, c’est cet oncle installé à Villers-Allerand, au coeur de la Montagne de Reims. Timothée y a bien travaillé, pour se faire quelques sous à l’âge où l’on n’est pas encore autorisé à signer un contrat, mais les parcelles – environ 7 hectares – sont en métayage, et appartiennent à 25 oncles et tantes… Peu d’espoir que lui, l’écolo aux cheveux longs, en voit un jour la couleur.
Il ne suffit pas d’y croire, mais l’espoir n’est pas toujours vain…
Ainsi, quand l’oncle prend brutalement sa retraite, une partie du clan Stroebel accepte de lui donner sa chance : on lui accorde le droit de cultiver 2 hectares.
On est en 2001.
Tout est à faire : il a donc un bout de terre, mais aucun équipement. Pas de bâtiments, pas de site de production, pas un outil. Bon gré mal gré il se débrouille, avec des vignerons chez qui il a fait des stages, avec des voisins accommodants : quelques heures dans leurs parcelles pour l’emprunt occasionnel du tracteur. Aussi, il avance par étapes : les premières années, il ne vinifie pas, il fait le choix de travailler avec la coopérative. Petit à petit, il prend ses marques, et s’équipe.
En 2005, il saute le pas : son premier champagne entre en cave. Son tout premier millésime à lui.
Et, dès cette année là, l’évidence : il fera du rouge et du blanc.
Timothée en est persuadé : le terroir de Champagne a cette puissance là, si on (ré)apprend à bien le travailler. Permettre l’élaboration de raisins ayant assez de concentration pour élaborer des vins rouges dignes de ce nom. Bien sûr, cela nécessite une approche différente, avec des sacrifices : sur la parcelle dédiée, là-bas, sur le coteau face à l’église de Villers-Allerand, sur des sols de sable, il ne travaille plus ses sols et pratique l’enherbement total. Les vieilles vignes de Pinot meunier, au rendement déjà moindre, donnent encore moins de raisins. Mais ces derniers sont plus concentrés : en arômes, en couleurs, en tanins.
La machine est lancée, et Timothée s’éclate.
Au fil des années qui suivent, iI élabore des champagnes de plus en plus sophistiqués, fruit de ses multiples expériences et enseignements : l’usage du bois, des levures indigènes, des vieillissements de plus en plus long, la diminution des dosages, la mise en avant de ce cépage longtemps dénigré qu’est le Meunier… Ces évolutions, c’est aussi le fruit des rencontres, de ce « réseau » qu’il se constitue, en Champagne et ailleurs, et qui lui permet d’affiner ses idées, ses envies. Lui qui proposait timidement son Coteau champenois à l’aube des années 2000 est aujourd’hui en rupture de ce rouge qui ne s’appelle pas Champagne.
Et il a poussé le vice plus loin : en 2015, la qualité des jus et le profil du vin en fermentation le pousse à produire une série très limitée d’un autre vin tranquille… blanc.
Ni du champagne, ni du vin rouge, un Coteau champenois, en blanc sec. Une bravoure dans une région où l’on ne valorise que la bulle.
Un affront ? Non, une envie, une intuition qui devient réalité.
Ce qui pétille aujourd’hui, c’est son regard, quand il m’explique la surprise de cette dégustation de 2015. Un choix pourtant non renouvelé en 2016, ni en 2017. Pas question d’exploiter un filon qui pourtant est en train de lui créer une certaine notoriété. Ce qui l’intéresse, c’est cette traduction du terroir, c’est l’adéquation entre ce travail des sols qui le passionne tant – lui qui parvient aujourd’hui à tout labourer au cheval – et la nature du vin qui en découlera.
Champagne, vin blanc, vin rouge… il se donne le luxe de choisir.
Lui qui avait un rêve, « pouvoir marcher pied nu dans mes vignes », est aujourd’hui en chemin pour un projet beaucoup plus grand : voilà bien longtemps maintenant qu’il a délaissé la chimie puis le tracteur. Son plus grand plaisir, à présent qu’il possède deux chevaux, c’est de poursuivre vers ce modèle de la ferme : bientôt ses vignes accueilleront des vaches et des moutons, pour une fumure animale naturelle, pour une vie de l’exploitation aussi.
Derrière une très grande douceur, Timothée a cette force là : la puissance des rêves mêlés de convictions, avec l’énergie de celui qui ira jusqu’au bout, dans une hâte tranquille.