Rencontre (caniculaire) avec Charles Bonnafont

Domaine des Cinq Peyres – Vadrouille Sud-Ouest 4/7

Ça aurait pu très mal se passer, entre Charles et moi.

Sous prétexte qu’il faisait 53°C à l’ombre (oui, j’ai sûrement été marseillaise dans une autre vie), il a insisté pour me faire porter un chapeau le temps de la visite.

Grand seigneur, il m’a donné le choix, entre trois modèles, version casquette en osier ou option noeud fleuri.

C’est donc accoutrée de mon couvre-chef digne de la saison printemps-été 1973, la mèche collée au front et les gouttes de sueur dévalant ma nuque que j’ai suivi Charles pour une visite en bonne et due forme du Domaine des Peyres Roses.

Et j’arrête là tout suspense, d’emblée je vous l’annonce : Charles est brillant. 

L’air de rien, pieds nus et un vieux T-shirt de travail sur le dos, il vous fait oublier la chaleur et la fatigue (oui, j’en suis à la moitié de mon roadtrip, ma tête est farcie d’une demi tonne d’informations, des nuits trop courtes et des quelques centaines de kilomètres avalés dans ma voiture de loc toute pourrie) et vous parle de choses 1000 fois entendues… comme si c’était la toute première fois. 

Charles Bonnafont

Ce domaine sis au sommet d’une colline éminemment bucolique, ce sont ses parents, ex-normands reconvertis dans la vigne, qui l’ont créé. Choix de vie et brutalité des destins, cela fait déjà plusieurs années que Charles, pourtant âgé d’à peine 24 ans, s’est retrouvé à la tête de l’exploitation. L’histoire familiale, il ne l’évoque que du bout des lèvres. 

On n’est pas là pour ça. 

Non, aujourd’hui, ce que Charles veut défendre, raconter encore et encore, ce sont les projets : ceux en cours et ceux à venir.

Domaine des Peyres Roses

Il parle vite, très vite, mais reste clair et pertinent : sa volonté de reconstruire un écosystème agricole proche d’une ferme à l’ancienne, et non une propriété viticole en monoculture, est fascinante. Il a une conscience aigüe de l’importance de la biodiversité, et met tout en oeuvre pour la préserver et la favoriser : haies, bosquets, arbres, champs en rotation et petites parcelles de vigne disséminées au milieu de tout ça.

Plus loin que le bio (« pas d’usage de molécule chimique »), il travaille selon les préceptes de la biodynamie (« respecter le vivant »). Derrière le passionné, on sent le scientifique, l’homme rationnel et pragmatique : il faut 365 jours à la terre pour faire le tour du soleil, et 28 jours à la lune pour faire le tour de la terre. Cela créé des moments de chevauchements, et tous les 3 jours, des constellations différentes traversées. Concrètement, cela implique des influences sur le vivant, sur lesquelles il est plus qu’intéressant de s’appuyer. On en arrive aux fameux jours « feuille », « racine », « fleur » ou « fruit ». Mais il est aussi question de lune montante ou descendante, et de toutes ces observations naturelles utilisées depuis des millénaires par les anciens.

Vignes du domaine Peyres roses

Les « peyres-roses » ce sont les pierres roses en langue d’oc, c’est-à-dire des sols bien particuliers de Gaillac.

Charles suit des formations, lit beaucoup, échange avec des confrères. Aujourd’hui, il utilise la taille Guyot Poussard pour éviter les maladies du bois, replante une partie de ses parcelles en sélection massale pour favoriser la diversité génétique, évite le rognage pour ne pas perturber les signaux hormonaux de ses vignes, ou encore pousse la densité jusqu’à 10 000 pieds/ha pour forcer le système racinaire à aller chercher en profondeur les nutriments du sol. Il a aussi installé des ruches pour sauvegarder les abeilles, et a des moutons dans ses vignes en hiver pour un engrais naturel.

Il semble sur tous les fronts, bouillonne d’idées. Un poulailler roulant, une cuvée « chili con tarnais » (je lui laisse le soin d’expliquer ce merveilleux jeu de mot), l’accueil de woofers… 

À travers ces quelques heures d’échanges, je devine aisément le travail titanesque que mène jour après jour ce blondinet hyperactif, qui dort peu et semble curieux de tout. Une fois en cave, si son débit de parole est toujours aussi intense, les explications se tarissent, et pour cause : 

Pour moi, ici, ça doit être le plus simple possible. 

Le fût de Yann du Resto-Zinc dans la cave du domaine Peyres roses

Un fût qui a toute une histoire.. C’est celui de Yann du Resto-Zinc 😉

À la cave, toujours de grandes ambitions, mais avant tout la recherche d’une pureté des jus, d’une simplicité. Avec – quand même – ce côté joueur et savant fou qui le caractérise : ainsi ces cuvées en oeuf ciment, ces macérations carboniques ou cette bière maison issue de ses levures de vin.

Des erreurs il en fait, c’est certain. Mais elles font partie du processus d’apprentissage, elles lui permettent d’avancer, et d’aller toujours plus loin dans la remise en question de ce métier traditionnel. Il sait s’entourer – il fait notamment partie de ce joli groupement de vignerons en bio « Terres de Gaillac » – et écoute ceux qui l’ont précédé : 

Le vin, fais le comme tu l’aimes… Comme ça, si t’arrives pas à le vendre, tu le boiras !

Ce précieux conseil ne lui vient ni plus ni moins que de Bernard Plageoles, l’un des hommes les plus respectés de l’appellation.

Et il semble s’y tenir, quand il avoue qu’il a du mal à mettre à la vente certaines de ses cuvées un peu rares… 

Et parmi celles-ci, il y en a une de carrément unique : ce fût de raisins issus de l’ensemble des parcelles du domaine, vinifiés ensuite en macération carbonique pour favoriser l’expression fruitée des jus. Une cuvée sur-mesure pour Yann, ami et passionné, qui tient le Resto-Zinc Les Marcheurs de planète à Paris : tous les ans, en lieu et place du Beaujolais nouveau, Yann sert son propre fût de Gaillac primeur ! Qu’on se le dise…

Les Apéros géants du domaine Peyres roses

Tous les mercredis de l’été, Charles organise des Apéros géants au domaine : les « Apeyrose Concerts ». Avec parfois plus de 600 convives, et ce cadre enchanteur…

Charismatique, bosseur, généreux… J’ai bien fait d’accepter ce chapeau. 

De toute façon, on se sent vite ridicule face à Charles.


Quelques photos en bonus, avec en avant-première, quelques chouettes clichés des vendanges 2018 (merci Mathieu !) :