Un lundi
du mois de janvier
sous la pluie.
Je sais choisir mon moment quand je rends visite à un vigneron.
Je ne parle pas de mes cheveux qui confondent humidité et happy-hour frisottis.
Je ne parle pas non plus de ce paysage digne d’une fin du monde sur la ligne Paris-Beaune.
Des champs entiers sous l’eau, des ruisseaux gros comme des rivières, des arbres transformés en arbrisseaux sous les assauts de marécages improvisés.
Je ne mets pas en cause ce ciel si bas que l’on vérifie plutôt deux fois qu’une que l’on est bien le matin, que la journée ne fait que commencer.
Et puis, cerise sur le gâteau, pompon sur la comète, ou peut-être – c’est opportun – goutte d’eau qui manque de tout faire déborder… on est un jour FEUILLE.
Il y a les jours fruits ou fleurs (#top-éclate), il y a les jours racines (#surprisestime), et puis il y a les jours feuilles. Alors oui, il ne faut pas se laisser trop influencer par tout ça, les étoiles, le soleil, la lune et blablabla. N’empêche…
J’attendais avec impatience ce rendez-vous. Parce ce que JUSTEMENT, une fois n’est pas coutume, j’avais eu l’occasion de déguster l’une des cuvées de ce vigneron avant de le rencontrer.
Je bois (trop) rarement du Bourgogne, et on m’avait tendu ce verre à l’aveugle. La séduction n’a pas été immédiate, elle s’est révélée délicatement. Un toucher en bouche soyeux, subtil et élégant, des arômes de baies rouges qui avaient évolué au fil de la dégustation vers des choses plus végétales, plus complexes. Champignons, humus, sous-bois… tout en restant d’une magnifique fraîcheur.
Alors, oui, j’avais hâte de rencontrer David Croix, le papa de ce petit nectar.
Lors de mon arrivée, le parapluie bien trempé fourré au fond du sac à dos, je saute dans l’espèce d’engin rehaussé de David (#VoitureToutTerrain) pour un tour de vignes. L’avantage de cette météo extraordinaire, c’est que l’on a une bonne excuse pour rester au chaud derrière le pare-brise. C’est de là que je découvrirai la pente abrupte du coteau de Corton-Charlemagne.
Une fois calés face à ce panorama somptueux (il paraît que l’on peut parfois voir le Mont-Blanc… ), David se lance. La classification des crus en Bourgogne, la particularité de cette colline de Corton, exposée à toutes les orientations, ces terroirs de marnes propices au chardonnay, le village de Pernand-Vergelesse au coeur de cette combe magnifique… On reprend la route cahin-caha, entre les nids-de-poule et les flaques de boue aux allures d’étangs, et la pente sérieusement… pentue (« Euh, ça va aller pour prendre des notes en même temps ? » « Oui, merci. C’est à la relecture qu’il faudra me poser la question »).
Pour un Tourangeaux débarqué ici presque par hasard, il la défend plutôt bien cette région de Bourgogne. Et de fait. Après des études pour devenir oenologue (« Elle me faisait rêver cette fiche-métier au CIO*… »), il achève son parcours de formation à Dijon, et rencontre, à l’occasion de son tout dernier stage, Benjamin Leroux, du prestigieux domaine du Comte-Armand.
Une rencontre humaine et décisive, qui en entraîne une autre, déterminante : Becky Wasserman.
Cette américaine est au vin ce que l’électricité est à Paris. Oui, les vieilles pierres et la Seine énervée ont leur beauté intrinsèque. Mais si vous enlevez la magie et le romantisme des lampadaires et autres éclairages savamment disposés, Paris perd d’une traite et son éclat et ses mystères.
Bon, je m’emballe un peu, certainement. Mais vous avez l’idée de ce que représente à présent ce bout de femme au sein du monde viticole.
David parle d’une chance incroyable, à propos de cette rencontre. Et l’histoire ne faisait que commencer…
Car à cet instant précis, ce que lui propose Becky, c’est de reprendre en main la maison de négoce beaunoise Camille Giroud. Une structure alors en plein déclin qu’il s’agit de remettre en route. Un challenge immense pour un jeune homme diplômé depuis moins d’une semaine.
Il accepte.
Nous sommes en 2001. Les années qui suivent vont être musclées.
Un vendredi matin de juin 2004, une de ces journées si semblables aux autres, David reçoit un petit groupe d’amateurs américains pour une dégustation. La discussion glisse sur le prix du foncier en Bourgogne, et David raconte cette mise en vente en « package » d’un domaine voisin : vignes, tracteurs, matériel agricole, fûts et cuves. Le potin du moment dans le coin.
David ne le sait pas, il vient de changer sa vie.
Ce petit groupe de passionnés le convie à les rejoindre pour le déjeuner, avec si possible un peu plus d’informations concernant cette histoire. Il ramène les quelques données dont il dispose, et l’après-midi, il les conduit voir les vignes en question.
Le samedi matin, les trois américains lui font une offre : ils achètent le domaine en question, et lui demandent d’en prendre la gérance, en lui donnant son nom.
L’opportunité d’une vie.
Tout se passe comme annoncé, à une différence près : ce ne sera pas le domaine David Croix, mais le domaine DES Croix.
Parce qu’il y a cette croix, en bas du coteau de Corton, parce qu’il ne veut pas accoler son prénom alors qu’il considère qu’ils sont plusieurs à piloter le navire (il est de fait associé, avec les trois américains qui ont joué les fées de ce drôle de conte). Et puis, parce que si on raccourcit, ça fait quand même ses initiales, D.Croix. On est en janvier 2005, tout s’est fait très vite.
Ainsi, pendant encore 11 ans, il va cumuler deux emplois : gérant de la maison Camille Giroud, et propriétaire-associé de ce domaine auquel est ainsi promise une seconde jeunesse.
Pas d’orgueil mal placé chez David, il a immédiatement conscience qu’il ne pourra être au four et au moulin : « Le domaine, c’était le soir et les weekends. Il me fallait très vite mettre une équipe en place ». Aussitôt dit aussitôt fait, il s’entoure de personnes de confiance, et notamment d’un autre David, à qui il confie les clés de son nouveau bébé.
Une raison de plus de ne pas lire son patronyme sur l’étiquette, explique-t-il avec une modestie sincère : « Si je ne suis plus là, le domaine continue de fonctionner. L’équipe est parfaitement autonome ».
Ainsi, avec ces deux vies accolées, il s’émerveille pendant près de 15 ans** de toutes les facettes du métier : vinifier la Bourgogne de bas en haut et redouter comme jamais le cours du raisin au fil des millésimes, mais aussi (re)découvrir les joies et difficultés de la partie vignoble, en allant toujours plus loin dans la mise en oeuvre de ses convictions d’une viticulture écologique et saine…
Après une telle success story, racontée au fil des coteaux et lieux-dits, je suis fin prête pour déguster.
Les 2017 sont encore en pleine fermentation malolactique, on ne les goûtera pas aujourd’hui. En revanche, et malgré des quantités qui frisent le ridicule, David me propose de goûter les 2016.
Il n’y aura rien à faire : aviner nos verres, les changer, attraper les divins Zalto, changer de cuvées, ouvrir une bouteille de 2015… la dégustation se passe mal.
Les vins ne sont pas causants.
C’est le moins que l’on puisse dire. Pas de réduction ou de goût de souris, mais une dureté, une fermeture qui laissent de marbre. Une austérité qui ne donne en rien envie de retremper ses lèvres, et qui laisse comme un goût de poussière en bouche. Rien à voir avec mon souvenir si généreux…
David est gêné, il les a pourtant goûtés il y a moins d’une semaine ces vins, et c’était merveilleux… Il s’interroge sur le calendrier, se demande si nous ne sommes pas un jour feuille, celui où, il l’a constaté plusieurs fois, le Pinot noir semble le moins propice à la dégustation.
Je me sens à la fois amusée et désolée. Après cette histoire incroyable, additionnée à toute l’aura dont bénéficient les vins de Bourgogne, l’impatience de goûter est bien là.
On dirait presque une mauvaise plaisanterie dont les vins seraient les auteurs. Comme un enfant qui se planque sous la table et refuse de dire bonjour aux invités, devant les parents mortifiés…
Il ne reste que son unique blanc à goûter. David me sert, timidement.
Le nez est discret, minéral, ciselé. En bouche, je suis surprise par un certain volume, une densité que je ne soupçonnais pas.
Le Chardonnay semble aujourd’hui en meilleure forme que le Pinot Noir.
Je replonge mon nez, c’est cette fois légèrement fruité, avec des notes d’abricot… Je multiplie ainsi les allers-retours, et je suis fascinée des évolutions de ce vin, qui tantôt joue la fraîcheur tantôt la souplesse. Une noblesse teintée d’espièglerie.
C’est mon premier Corton-Charlemagne.
Et nous sommes bien un jour feuille.
Merci David.
C’est bon d’entendre de si jolies histoires. Surtout quand elles sont racontées avec le coeur… et cette petite flamme au fond des yeux, de celui qui n’en revient toujours pas.
*CIO : Centre d’Information et d’Orientation.
**Depuis décembre dernier, il est à 100 % au domaine. La réputation n’est plus à faire, mais il reste tant de projets à développer…