De Condrieu à Châteauneuf-du-Pape… Reportage initiatique en Vallée du Rhône

Après le Jura, j’ai poursuivi ma route, direction : le Rhône.

On change radicalement de paysages, la route se fait autoroute, les villes plus importantes et les périphéries très industrielles. Le vert laisse la place aux couleurs chaudes, et les conifères disparaissent au profit d’arbres fruitiers. De grands espaces, toujours, mais pour le côté sauvage, il faudra largement s’éloigner du fleuve.

Première halte : le domaine Georges Vernay, alias le Pape de Condrieu.
J’ai beaucoup de chance, je suis reçue par son beau-fils, Paul Amsellem. Cela fait quelques années que Georges ne reçoit plus lui-même, pourtant sa présence résonne fort tout au long de ma visite. Cet homme est une légende dans le monde du vin, un roi en son vignoble. C’est à lui que Condrieu doit sa renaissance dans les années 1980. Parler du Viognier, le cépage emblématique de l’appellation, c’est parler de Monsieur Vernay.

« Viognier / Vernay… C’est presque un pléonasme », me souffle Paul…

Après une carrière à Paris, sa fille Christine est finalement revenue au domaine. Pas facile de marcher dans les traces d’un tel personnage. Et pourtant, cette femme que je ne connaîtrais qu’à travers les mots de son époux, a relevé le défi de se tailler sa propre notoriété.

Son père a hissé Condrieu au rang des vignobles les plus prestigieux, elle s’est quant à elle entichée de porter l’appellation Côte-Rôtie au même niveau.

Aujourd’hui, le domaine Georges Vernay c’est 22 hectares, dont la moitié sur Condrieu, et un tiers en Côte-Rôtie. L’une des dernières maisons ici à ne pas faire de négoce. Chaque parcelle est vinifiée séparément, l’expression du terroir prime sur tout le reste.

Les noms des cuvées reflètent ce travail tout en dentelle, riches d’anecdotes et d’histoire. Un régal de poésie : Les Terrasses de l’Empire, Les Chaillées de l’Enfer, ou encore ce mythe de Condrieu qu’est le Coteau de Vernon. Des vins blancs où l’intensité aromatique du Viognier se dispute à une grande salinité, une fraîcheur et une minéralité exceptionnelles.

Les rouges ne sont pas en reste : Blonde du Seigneur, en hommage à la légende du Seigneur d’Ampuis et de ses deux filles, ou encore Maison rouge, ce 100 % Syrah à la complexité démente et au toucher divinement velouté…

Plus qu’une entrée en matière, une dégustation qui met la barre haut, très haut, pour les heures à venir…

Au royaume du Viognier et de la Syrah… Syrah, dont l’étymologie serait « serre » en latin, c’est-à-dire la pente, la montagne. Serre, Serine, Syrah…


Et comme il est bon de varier les plaisirs, j’attaque le lendemain avec un vigneron installé dans les hauteurs bien au-dessus de la vallée, à Vérane, « un petit contrefort du Massif central ».

3,5 hectares répartis sur Condrieu, Saint-Joseph et un peu en hors-appellation pour François Dumas, cet ancien étudiant passionné de grand air, qui a failli devenir prof d’EPS. 

Un homme né ici, qui a finalement pris un virage à 180° pour réaliser un rêve : « Faire mon propre vin ».

Son grand-père, qui tenait la boulangerie-épicerie du village en faisait déjà, mais « un vin de soif, qu’il envoyait aux mineurs de Saint-Etienne ».

Ici, peu de parcelles peuvent être travaillées à la machine. Les pentes sont vertigineuses, c’est un régal pour les yeux, un enfer pour les vignerons. #payetoncuissot

Il a fallu racheter des parcelles, et aménager une véritable cave de vinification, qu’il souhaite volontairement rudimentaire : « Le problème quand tu es trop équipé, c’est que tu risques de devenir trop interventionniste ».

C’est parti pour une dégustation en direct des cuves et des barriques. Il est 9h du matin #durmétier

François ne mesure pas sa peine, ne compte pas ses heures. Chez lui, tout semble en chantier. Il l’admet volontiers « Moi, c’est très, très artisanal, hein ».

Difficile de croire qu’il fait tout, tout seul, dans ces vignes parmi les plus pentues et les plus denses de France, en bio de surcroît.

Et sans le sablier magique d’Hermione.

Alors oui, on a du mal à le joindre, on se demande s’il dort parfois, et on a peur d’empiéter sur son temps. Mais le rencontrer et l’écouter parler de ses projets, de ses cuvées, de ses vignes qu’il chouchoute… et déguster ses vins, ça balaie très vite mes (légers) remords. Et notamment ce vin de pays, ce Gamay issu de vieilles vignes… Un nez fumé, terreux, une robe rubis sombre.

Une pépite.

« C’est compliqué d’accepter le risque » #àquiledistu


J’aurai ensuite une grande frustration, en passant au Mas Libian : une dégustation plus que sympathique, mais un timing trop serré : la période est déjà chargée pour Hélène, à la tête du domaine, et elle est carrément cauchemardesque depuis quelques jours, pour cause de crise locale suite à l’épidémie de flavescence dorée* qu’elle cherche à combattre… sainement.

De véritables enjeux politiques ici, où des traitements hautement chimiques sont imposés par mesure de précaution, alors que d’autres solutions sont envisageables. Je ne verrai donc pas Hélène, mais Jacqueline, sa maman. Un très rapide aperçu de ce domaine familial, où la bonne humeur et le sens de l’humour semblent malgré tout l’emporter sur les nombreuses difficultés…


Un peu plus au Sud – je me rapproche de la fin du périple – j’ai rendez-vous avec Luc Guénard, propriétaire du Château Valcombe, à Saint-Pierre de Vassol. Encore un vigneron à l’histoire incroyable…

Avant sa formation au lycée viticole de Carpentras il y a 10 ans, Luc a eu une autre vie. Originaire du Pas-de-Calais, rien ne le prédestinait à embrasser ce métier de vigneron. Enfant de troupe dès la 6e, diplômé ingénieur à SupAéro puis à HEC, il a commencé sa vie professionnelle en montant sa propre entreprise en modélisation mathématiques. Très vite orienté vers le secteur bancaire, son travail lui offre une vie d’homme d’affaires, entre Paris et Londres. Après la vente de sa société, puis une parenthèse humanitaire en Afrique, il se tourne vers le management, d’abord à la Société générale, puis en tant que Directeur général du groupe Lafuma-Millet-Oxbow. Une façon de rejoindre une autre de ses passions… le sport. L’UTMB, La Petite Trotte… les connaisseurs reconnaîtront un sacré coureur dans les différents trails énumérés (et terminés 😉 ) par Luc.

Goût du challenge, besoin d’un retour à la terre, amour du vin… Quelles que soient ses motivations, aujourd’hui, Luc est désormais vigneron. Et il s’est organisé pour être totalement autonome depuis la vigne jusqu’à l’expédition : « Personne ne touche mon vin… ».

Faire du vin ? Ça se résume en 2 règles selon Luc :

  1. « On fait confiance à la vigne ». Le travail, c’est en amont, pour obtenir les meilleurs raisins possibles. Travail des sols, maîtrise des rendements, pas de traitements chimiques… Et surtout : « Pendant les vinif’, on ne fait rien ».
  2. « On ne fait pas ce que l’on ne comprend pas » : Luc est cartésien. Tout doit avoir une explication, un sens. Filtrer ses vins avec des filets d’asperges, oui, si c’est plus efficace. Appliquer une préparation biodynamique sans en comprendre l’intérêt, hors de question.

Un businessman-vigneron, qui sait ce qu’il veut et s’en donne les moyens. Les pieds sur terre, la tête déjà dans ses nouveaux projets… « Pour ne pas m’ennuyer ».

On s’éloigne des rives du Rhône, on approche du Sud de la vallée aussi : les parcelles sont moins pentues, les vignes ont un autre visage…

Ma route se poursuit et, anecdote amusante, me voilà chez un autre « néo-vigneron », ancien mathématicien également ! Il s’agit de Jérémy Onde, du Domaine les Ondines. Ici, point de businessman… mais un grand timide, qui n’aime rien tant que ses vignes. Ce n’est donc pas lui qui nous reçoit, mais Aurore, l’une des deux femmes qu’il a embauchées pour le suppléer, au bureau et au chai. Il y a tant à faire au domaine…

Il y a encore 10 ans, l’activité dominante ici, c’était la fraise. Pour des raisons de santé, mais aussi pour « ce don pour le vin » qu’Aurore me décrit, Jérémy a progressivement intégralement remplacé les fraises par les vignes. Depuis 2014, tout est enfin converti.

L’histoire fait sourire aujourd’hui, mais il faut imaginer que cette décision n’allait pas sans risques : la fraise, c’est trois fois la rentabilité du vin. Cela signifiait également qu’il fallait recommencer de zéro, pour la partie commerciale : « C’était complètement inconscient, il a commencé sans rien, il n’avait pas un client ! ».


Il faut croire que quand le vin est bon, quand la passion est là, le risque est amoindri… Car le Domaine s’est construit – doucement mais sûrement – une jolie notoriété. Notamment avec cette cuvée Le Clos des frères, élaborée avec l’amitié d’un voisin belge, fou de vin. Un très bon Vacqueyras, mais qui n’a pas ma préférence. Mon champion ici, c’est la cuvée Les Ondines : un 80 % Grenache / 20 % Syrah (AOC Plan de Dieu), au nez truffé, aux notes de sous-bois et à la bouche d’une très grande finesse.

Enorme gamme dans laquelle je me perds un peu, mais qui permet de découvrir 3 AOC : Vacqueyras, Baume de Venise et Plan de Dieu.


Le voyage s’achève au domaine La Boutinière, à Châteauneuf-du-Pape.

Une fin de périple en feu d’artifices, aux côtés de Frédéric Boutin, vigneron qui a lui aussi failli partir dans une autre voie… celle des travaux publics. Mais il lui était impossible de voir se perdre le domaine familial, dont certains pieds de vignes datent encore de 1902.

Et puis, comme il le dit lui même « le vin, j’ai toujours été plus ou moins dedans »…

Ce qu’il aime avant tout dans son métier, c’est la variété : « un jour je suis sur mon tracteur, le lendemain avec mon agent, aux Etats-Unis ! ».

Pour moi, l’enjeu est grand, mon tout premier souvenir d’émotions de dégustation, il y a plus de 10 ans, c’était avec un Châteauneuf-du-Pape, et je n’en ai jamais rebu depuis…

Je suis donc toute exaltée quand Frédéric se muni des verres et de sa pipette, pour aller déguster directement aux cuves et aux fûts. Je ne serai pas déçue…

Dommage que je ne puisse emporter avec moi une fiole de ce Mourvèdre 2016, d’une souplesse à tomber, ou cet assemblage 2015 « Grande Réserve » (95 % Grenache / 3 % Mourvèdre / 2 % Syrah) dont le nez me laisse… baba.

« La chance que l’on a, c’est le terroir : on est au bord du Rhône, c’est lui qui nous amené ces fameux galets roulés à l’époque glacière ». (#disçaàtesoutils)

Près de 200km, 3 jours, 8 domaines, 57 vins dégustés. Et un programme qui part en cacahuète #roadtrip #lafolieduvoyage

Un immense merci à Emma, qui comprendra, et à Françoise, véritable entremetteuse. Il reste encore beaucoup à découvrir, et à apprendre… Je reviendrai !


Également visités/dégustés :

  • Un très bon accueil par Caroline, du domaine François Villard, où j’ai pu naviguer entre Condrieu, Saint-Joseph, Côte-Rôtie, Saint-Peray, Crozes-Hermitage et Cornas… Un véritable voyage au beau milieu de noms de légende, et un coup de coeur pour le Grand Vallon 2015, un Condrieu tout en retenu, où les arômes abricot, miel et épices se côtoient. En rouge, difficile de choisir entre Comme une évidence 2014 (Crozes-Hermitage) avec son nez de pain grillé, Poivre et Sol 2014 (Saint-Joseph) qui mêle le fruit, le cuir et la minéralité ou Le Gallet Blanc 2014 (Côte-Rôtie), d’une douceur et d’une finesse infinie… #pourquoichoisir

  • Un détour au caveau de Michel Chapoutier est incontournable pour une première visite de la région : rendez-vous donc à Tain l’Hermitage, chez ce géant qui travaille 250 hectares en plus de ses activités de négociant, de formations, d’animations oenotouristiques… Merci à Salisa pour cette dégustation commentée. De jolies sensations avec Chante-Alouette 2015 (Hermitage), Les Arènes 2014 (Cornas) ou Les Bécasses 2014 (Côte-Rôtie).

*La flavescence dorée, c’est une maladie de la vigne pas cool, « à l’origine de pertes de récolte importantes, aux conséquences parfois irrémédiables pour la pérennité du vignoble » (#merciWiki). Vous me direz, c’est pas la seule. La crispation ici, c’est la mise en place de traitements obligatoires extrêmement nocifs. Plus d’info sur la page Facebook officielle du groupement « Stop Traitements Toxic Flacescence dorée »: ICI.