Un soir de salon, une dizaine de tables avec une grosse majorité de vignerons, des importateurs, journalistes et autres passionnés du vin… je vous laisse imaginer l’ambiance. C’était il y a exactement 6 mois, et je me retrouvais à la même table que Dominique Andiran, Marc Penavayre et Florent Plageoles.
Une jolie partie de la bande de ces « gars du Sud-Ouest » : de ceux qui ont l’accent chantant, l’oeil rieur et le calembour facile.
Et qui se sont illico insurgés, en découvrant mon nom de famille, de ma méconnaissance de leur région. Oui, Soubiran, c’est de chez eux, ou en tout cas pas loin du tout (l’Ariège plus exactement, les voisins directs en somme).
Bref, c’est un peu là que l’idée de ce périple a germé. Car au-delà de leur haut capital sympathie, ces « tontons du Sud-Ouest » comme j’aime les appeler (Désolée Flo, honneur aux aînés), savent être très convaincants, et m’ont plus qu’insufflé l’envie de venir vadrouiller par chez eux.
Le parcours s’est donc d’abord organisé autour de ces trois noms.
Domino se trouve au beau milieu du Gers (IGP Côtes de Gascogne), dans un coin où nombreux sont ceux qui pensent que faire du vin ici, c’est faire du Tariquet. Tariquet, ce n’est pas une appellation – je ne plaisante pas, je l’ai entendu plus d’une fois -, mais le nom du plus gros domaine familial français, un véritable cas d’école qui recouvre plus de 1300 hectares. On parle ici de plus de 8 millions de bouteilles de vin produites par an, sans compter l’armagnac.
D’où la frontière mince entre un vin de Gascogne et « un Tariquet ». Et puis, pour compléter le décor, vous êtes ici en région agricole, avec une grand développement des cultures de céréales, et dans une philosophie plutôt extensive…
Autant dire qu’ici l‘aspect artisanal du métier de vigneron, la valorisation d’un savoir-faire ancien et le goût du vin de terroir n’est plus franchement ancré dans les moeurs.
C’est d’ailleurs la première fois que j’entends des chiffres de rendement aussi élevés : en Côtes de Gascogne, un viticulteur a le droit de produire ici jusque 120 hl/ha. À titre de comparaison, le plus haut volume que je connaissais jusqu’à présent, c’était les rendements de 2016 à Saint-Emilion, où les vignerons ne savaient plus où mettre leur jus tellement l’année était généreuse : on parlait alors de 60 à 70 hl/ha…
Oui, on pourrait sans peine l’appeler ainsi, Domino. Car comment fait-il pour vivre décemment, avec seulement 6 hectares au lieu de 35 comme ses voisins, et par dessus le marché avec des rendements qui atteignent rarement les 40 hl/ha, soit moins de 1/3 des taux du pays ? Il y a anguille sous roche, ou pépin dans la bouteille…
Parce qu’en plus, ce gars-là, il applique des tisanes dans ses vignes, se refuse à utiliser un seul produit phytosanitaire, et n’ajoute pas de sulfites dans ses cuves. Même les années comme celle-ci, bien compliquée après les fortes pluies du printemps et les attaques de mildiou, il s’entête et s’obstine à travailler ses vignes comme on travaille son jardin. Et elles sont belles ses vignes, sacrebleu !
Voilà, Dominique Andiran est le farfelu du coin, celui qui a décidé il y a 18 ans de ne plus jamais toucher un produit issu de la chimie de synthèse, et de se convertir au bio, puis à la biodynamie. Et il sait de quoi il parle : « Quand j’ai commencé à travailler dans les vignes de mon oncle, puis dans les miennes ensuite, j’ai utilisé absolument tout ce qui existait – et d’ailleurs certains sont aujourd’hui interdits – en produits phyto ». Jusqu’au jour où il se retrouve avec d’étranges symptômes. Il consulte et les analyses claquent : un certain composé chimique hautement toxique est passé dans son sang.
Le genre de molécule inventée pour détruire toute vie, qu’elle concerne le végétal ou les insectes.
Ça calme.
Et ça fait définitivement basculer Domino du côté obscur de la vigne…
Tant qu’il faisait comme tout le monde, Dominique vendait son vin en vrac, notamment à Tariquet. Mais du jour où il a commencé à remettre en question ses pratiques à la vigne comme au chai, forcément, le goût de son vin a changé :
Ça n’avait plus rien à voir… mais je me souviens, j’ai soudainement trouvé ça super bon !
Oui, sauf que ce n’était plus du tout consensuel et passe-partout. Plus aucun négociant n’en voulait, ou alors à des prix qui frisaient le ridicule.
C’est là que ce fils de plombier, qui a pendant des années été prof de planche à voile et moniteur de ski, a compris que, s’il voulait continuer dans cette voie, celle d’un vin fait avec du raisin et rien d’autre, il lui faudrait valoriser son travail jusqu’au bout… et vendre le vin à son nom.
Plus facile à dire qu’à faire, quand on n’a jamais eu un seul client et qu’on se retrouve avec quelques milliers de bouteilles sur les bras.
C’est là qu’intervient la première rencontre : Bernard Daubin dit » zézé » , restaurateur du village, reçoit régulièrement la visite de Patrick Bertossi, caviste du Plaisirs du vin à Agen. Ensemble, les deux hommes vont non seulement acheter les premières bouteilles du petit Domino, mais également l’initier véritablement au vin : à chaque rendez-vous, ils dégustent ensemble des vins de toute la France, de vignerons célèbres ou complètement confidentiels, et bien souvent en « nature ».
C’était un choc pour moi, de réaliser qu’on pouvait faire des vins comme ça : c’était extrêmement encourageant, ça me confirmait que c’était possible ce truc que j’avais commencé tout seul dans mon coin.
Dans son coin, justement il en sort : face aux difficultés, il réalise qu’il a besoin de se former davantage. On n’arrête pas les antibio du jour au lendemain pour passer aux cataplasmes sans être un peu averti. Aussi, quand en 2005 il perd une grosse partie de sa récolte à cause du mildiou, il file à la Chambre d’agriculture pour faire ses premières formations au bio.
L’occasion de rencontrer d’autres vignerons qui partagent ses convictions, et de progresser ensemble. Son réseau se développe, et Domino s’épanouit de plus en plus dans ce métier de passion.
Moi, le but, c’est de ne plus rien faire une fois au chai !
Domino l’a compris, le secret d’un bon vin, c’est d’avoir le meilleur raisin possible. Alors il va toujours plus loin dans le soin qu’il apporte à ses parcelles : depuis peu, il s’est formé à la taille dite « douce », ou en Guyot Poussard. Il pourrait y passer des heures à vous en parler, tellement il en est fasciné. Une taille qui respecte les flux de sève du cep, pour favoriser son développement et contrer les maladies du bois qui déciment aujourd’hui le vignoble français**. Une taille vertueuse… mais très gourmande en temps de travail. Au lieu des 800 à 1000 pieds de vigne taillés en une journée, il en fait à peine 200. Je vous laisse faire le calcul. L’hiver est soudainement beaucoup plus long !
Au chai aussi il s’en passe des choses : notamment cette barrique oubliée plusieurs mois, et dont le niveau avait drastiquement baissé, pour cause de non-ouillage… Dominique est catastrophé, il pense le vin foutu et bon pour le caniveau. Mais quand il le goûte, il sursaute : c’est très particulier… mais c’est drôlement bon. C’est le voisin restaurateur, toujours le même, qui donne le diagnostic :
Tu viens de faire du vin de voile, couillon !
Et de lui conseiller d’appeler illico Bernard Plageoles, maître en la matière. Le début d’une immense amitié. Et d’une cuvée exceptionnelle, reproduite depuis en série limitée.
Voilà, Domino c’est ça : un enfant aux cheveux argent, la peau tannée par le soleil et le sourire éclatant. Il joue, avance, toujours plus loin. Ainsi ce vin oxydatif « de lumière », ou cette réhabilitation du Sauvignon rose, cépage disparu après la crise du Phylloxéra. On pourrait le croire isolé, dans son village de Montréal-Du-Gers, dans cette région où ils ne sont que 3 % à travailler en bio, 0,5 % à être en biodynamie, et où il est le seul à faire du vin nature.
Que nenni : il s’attable, goguenard, au café du village, plaisante avec le patron, salue ensuite un autre vigneron (« qui fait exactement l’inverse de moi ! » plaisante-il dans un murmure) tandis que nous allons voir son chai, et organise ensuite un dîner avec des amis de la région : distillateur, vigneron, amateur… Les bouteilles valsent, les rires aussi.
Faire fi du regard des autres, croire en ses convictions et s’appuyer sur ses amis, qu’ils soient proches ou lointains.
Merci Domino pour cette belle leçon.
NB : J’animerai un atelier-dégustation chez Yann, caviste au Sourire au pied de l’échelle, le mercredi 26 septembre. L’occasion de goûter certaines des cuvées de ces vignerons racontés ici !
Pour réserver sa place, c’est par là.
*Hurluberlu : terme affectueux et immensément admiratif, pour un artisan qui a beaucoup à m’apprendre. Rendez-vous cet hiver pour un 2ème round 😉
** Poussard, du nom d’un ouvrier viticole de la fin du 19ème siècle, qui s’est mis en tête de comprendre pourquoi les vignes mourraient trop jeunes. C’est en découpant un cep en deux qu’il a observé les flux de sève, et en a déduit que les tailles jusque-là pratiquées étaient trop brutales pour la plante. Aujourd’hui, malgré des résultats spectaculaires, trop peu de vignerons décident de pratiquer cette taille. La faute aux subventions : il est aujourd’hui plus rentable d’arracher des vignes d’à peine 25 ans qui dépérissent de maladie du bois et d’en planter des nouvelles que de mettre en place cette taille, jugée trop onéreuse en temps…