Début novembre, je suis invitée à rencontrer Lise et Bertrand Jousset, du domaine du même nom, à Montlouis-sur-Loire. On m’avait prévenue « Ne sois pas impressionnée, Bertrand c’est une espèce de géant, rien que sa tête doit peser le poids d’un enfant de 8 ans ». Hum.
C’était exagéré. Au pire, on attrape un torticolis en discutant avec Bertrand Jousset.
En revanche, là où on peut être réellement dans ses petits souliers, c’est quand il s’emballe dans le débat et vous sonde du regard…
Récit d’une rencontre, et d’une incroyable histoire, celle des vendanges 2016 chez les Jousset.
L’appellation Montlouis, c’est tout petit : 420 hectares, à peine une quarantaine de vignerons, nichés entre la Loire et le Cher. Un triangle des Bermudes qui renaît de ses cendres depuis quelques années… Une renaissance dans laquelle le couple Jousset a joué un rôle déterminant.
Mais là n’est pas le sujet.
Si je suis ici, en cette froide journée de novembre, c’est pour comprendre comment Lise et Bertrand ont réussi à avoir du vin dans leurs fûts, à l’issu des dernières vendanges.
Ma première surprise (une fois que je suis rassurée sur les dimensions de mon hôte), c’est d’apprendre que ni l’un ni l’autre n’est directement issu du monde viticole : une première vie dans l’armée pour Bertrand*, une autre en tant que sommelière pour Lise. Difficile à croire, que ce soit quand on les entend parler technique ou quand ils énumèrent les copains vignerons avec qui ils ont l’air de former une grande famille, depuis toujours.
La reprise d’un vignoble ? Une folie tout autant qu’une évidence.
Travailler ensemble, c’était un projet qui mûrissait lentement, et qui ne demandait qu’à éclore. Mais parfois dans la vie les choses s’accélèrent, et prennent un virage inenvisagé. C’est un peu ce qui s’est produit, quand au début des années 2000 un ami leur présente un vigneron prêt à revendre sa propriété. Bertrand, pourtant alors à peine amateur de vin, s’emballe pour l’idée. Lise, dont les parents avaient payé les études en sommellerie « pour s’assurer que jamais leur fille ne serait agricultrice », est bien plus consciente des difficultés réelles du métier de vigneron. Mais la volonté de changement, l’énergie du couple et ce grain de folie qui semble les caractériser l’emportent. Ils foncent… et pas qu’à moitié : quitte à reprendre un vignoble, ils décident d’emblée de le convertir en bio.
De gros investissements, des années de labeur, mais c’est le jeu quand on s’installe.
Alors quand, 8 ans plus tard, au moment où leur travail commence à être reconnu et la propriété à devenir rentable (ouh le vilain mot !), 100 % de leurs vignes gèlent, ils ne font pas les malins. Pour s’en sortir, ils achètent un peu de raisins, afin de remplir quand même quelques cuves et d’avoir du vin à proposer à leurs clients. Ce sera la cuvée « Les Exilés ».
Coup du sort, l’année suivante, en 2013, 50 % des vignes gèlent de nouveau.
C’est joli, Mont-Louis, mais ça craint… Cette fois-ci, il est question de mettre la clé sous la porte. Les banquiers « toussent« , les stocks sont inexistants. Le couple s’accroche, et achète encore un peu plus de raisin.
2014 et 2015 passent, les rendements sont meilleurs. Bertrand et Lise respirent. Ils vont peut-être un jour pouvoir rembourser leurs dettes.
Mais nous voilà en 2016, et PATATRA. La nuit du 26 au 27 avril, 80 % de leurs vignes gèlent.
Ce sont des choses qui arrivent, me direz-vous. C’est la loi de la nature…
« Ça ira mieux l’année prochaine » encouragent les clients de passage. Ce à quoi Lise explique, patiemment : « Un gel de cette ampleur, où l’on n’aura même pas 5 % à ramasser, et donc à vendre, c’est un peu comme si votre patron vient vous voir, en fin d’année, et vous félicite pour votre travail : « C’est super, vraiment, ne change rien ! En revanche, je suis désolée, mais pour l’année prochaine je ne pourrai pas te payer… Mais surtout, continue comme ça, hein, c’est vraiment du bon boulot. » Voilà, ça calme. »
Car la vie continue, les factures et les frais aussi.**
Au lendemain de ce gel qui restera historique, Bertrand monte dans son fourgon, et roule vers le Midi. Il ne peut pas rester ici à rien faire, il lui faut trouver une solution. Il se tourne vers les copains vignerons du Sud, qui n’ont pas subi ces aléas climatiques dramatiques.
Commence alors une aventure incroyable : près de 200 heures au téléphone, des kilomètres et des kilomètres de bitume avalés, mais en juillet tout est ficelé. Au final, ce seront 7 vignerons qui vendront leurs raisins au Domaine Jousset.
Mais pour ce couple qui veut faire des vins « natures » (#biopuissance10), hors de question de récupérer n’importe quoi et de travailler avec n’importe qui. Bertrand insiste sur ce dernier point : « Il fallait que j’ai un lien avec le vigneron, que ce soit (ou que ça devienne !) un copain ».
Se met donc en place un mini cahier des charges : les raisins doivent être bio, au minimum. Et ce sera Bertrand, parfois accompagné de Lise quand elle parvient à le rejoindre, qui vendangera les parcelles concernées.
Au final, ce ne sera pas 10 jours intensifs de vendanges… mais 35, répartis entre le 23 août et le 23 octobre. Deux mois à parcourir la France, à surveiller la maturité des différents cépages qui composeront ces vins qui deviendront des « vins de France », à coacher 8 différentes équipes de vendangeurs (dont la leur hein, hors de question de laisser pourrir les quelques grappes survivantes !), à organiser le transport et la conservation de centaines d’hectolitres de jus, pour qu’ils arrivent dans les conditions optimales jusqu’aux cuves vides de Montlouis…
De la solidarité, de l’entraide, oui oui. Mais ce que vient de vivre Bertrand, c’est aussi cette chance inouïe de travailler auprès de confrères : « Ce que je viens de faire, tout le monde devrait le faire ! En 2 mois, j’ai appris 20 000 fois plus. Quand tu es 18h/24 avec un collègue vigneron, et pas quand les vins sont faits hein, mais quand t’es dans l’action, quand t’es à poil, c’est un échange de fou, ça va dans les deux sens ».
Une sorte de « Wine B&B », en quelques sorte…
Le rush est passé, il reste à présent à vinifier et commercialiser ces vins qui ne seront pas sous l’appellation…
La suite ? Aller vers une recherche d’équilibre, via une philosophie de décroissance, et… de nouveaux projets.
Lise et Bertrand, Bertrand et Lise… un formidable tandem, qui rouleraient non pas l’un derrière l’autre, mais côte à côte, pour faire face… ensemble.
*Au sein des Spahis, une unité de l’armée de terre, issue d’un ancien régiment marocain, dont la devise n’est autre que « Faire face »…
**3 gels de cette ampleur en moins de 5 ans, c’est pas courant. La moyenne, c’est plutôt un tous les 10, voire 15 ans.
Petit topo sur les évolutions récentes de l’appellation Montlouis :
« Dans les années 2000, il y a eu toute une vague de branleurs – dont je fais partie – qui se sont installés. Ce n’était que des hors-cadres, pas des enfants de vignerons. Le terrain était accessible, pas cher, et on avait conscience qu’ici on pouvait faire quelque chose… Il y avait une volonté commune de faire de super vins ».
Et de fait, à cette époque, l’appellation est oubliée, vieillissante. Plus de 60 % des viticulteurs vendaient encore tout leurs raisins à la coopérative.
Ces nouveaux-venus portent un regard neuf, et viennent secouer les choses. Ensemble, ils constituent l’Association des jeunes vignerons, et oeuvrent pour la création d’une ZAP, une Zone Agricole Protégée.
« On a remis l’église au centre : ici, on a un terroir, il faut cultiver la vigne ! ».
Petit à petit, les prix des vins de l’AOC Montlouis ont augmenté, les stocks diminué et, depuis quelques années, des fils de vignerons commencent à reprendre les exploitations, signe avant-coureur de la bonne santé d’une région viticole…