Ce n’est pas la première fois que j’évoque ici les conditions météo dégueu-dégueu de 2016.
Pour Isabelle et Franck Pascal, l’histoire a failli virer au drame.
Mais pour bien comprendre les enjeux, revenons un peu sur l’histoire de ce domaine champenois de 7 hectares.
Pour Isabelle et Franck, hors de question de travailler dans les vignes, comme leurs parents. Pour lui, une carrière d’ingénieur se profile, pour elle, ce sera la biochimie, en laboratoire oenologique.
Mais un accident bouleverse leurs projets. Le frère de Franck, supposé reprendre l’exploitation, disparaît brutalement. Une tragédie qui change la donne. En Champagne, comme dans toutes régions viticoles, on est parfois prêt à faire sa vie ailleurs… dans la mesure où la succession familiale est garantie. Quand plus personne n’est là pour assurer la relève, on se repose la question. Franck décide donc de rester, et de se former.
Au Viticampus d’Avize, très vite, la surprise le gagne. On a la main lourde sur les produits chimiques dans la région, dis-donc !
Et puis, en se penchant un peu plus sur la question, il s’aperçoit que, ces molécules que l’on utilise dans les vignes… ce sont les mêmes qu’il utilisait lors de son service militaire. Affecté au génie de combat, il a en effet travaillé sur l’élaboration d’armes… chimiques.
Utiliser pour son champagne les mêmes produits qu’on lui demandait d’élaborer pour tuer… Cherchez l’erreur.
Ajoutez à cela une sensibilisation au bio dans leur vie quotidienne, notamment depuis la première grossesse d’Isabelle, en 1998.
Et des rencontres, avec des vignerons fortement engagés, en Allemagne, en Suisse, en Alsace et dans la Loire…
C’est bien simple, le vignoble est très vite passé en bio, puis en biodynamie.
Cette dernière étape est arrivée suite à une expérience toute personnelle : le cancer d’Isabelle, en 2005. La chimie, elle connaît. Et (paradoxe ?), s’il y a bien une chose dont elle est certaine devant le diagnostic, c’est qu’elle ne se soignera pas via la chimie.
Et c’est dans cette recherche de traitements alternatifs que le couple découvre pleinement le monde que représente la biodynamie…
« On n’a gravi qu’une première marche pour le moment... » développe Isabelle.
Dans cette épreuve, c’est d’autres femmes-vigneronnes qui vont comprendre, soutenir et partager le combat de Franck et Isabelle. Notamment Françoise Bedel et la regrettée Anne-Claude Leflaive… Des noms qui résonnent fort dans le milieu du vin… et de la biodynamie.
Aujourd’hui, Isabelle est pleine de cette énergie et de cette force de ceux qui ont combattu. Et gagné.
Alors, quand elle vous parle du « vivant », de ces fleurs qui poussent dans les vignes ou de ces ondes que l’on peut envoyer au raisin, ou au vin, il n’est pas impossible que vous vous laissiez gagner par l’émotion.
Et, quand elle vous parlera, avec ce ton très posé et cette voix très claire, du pendule qu’elle utilise pour « communiquer » avec le vin, tandis que son époux manie une antenne de Lecher pour poser des questions au divin breuvage, vous écouterez, à peine surpris, probablement curieux d’en savoir plus…
Malheureusement, le parallèle entre la maladie et la vigne ne s’arrête pas là. Isabelle l’admet : si aujourd’hui elle est encore là, c’est aussi grâce à la chimie. Dans les tous derniers mois elle a finalement eu recours à la chimiothérapie, en complément du reste.
Aujourd’hui, elle n’est plus en rémission. Elle est guérie.
Aussi quand, pendant le terrible printemps 2016, les vignes présentent plus que des signes de faiblesse – « on était en train de tout perdre » – Franck n’en dort plus. Les apports biodynamiques, fondés uniquement sur des traitements de contact, ne suffisent plus. Pour ce vignoble situé en pleine Vallée de la Marne, où il fait déjà en règle général particulièrement froid et humide, les mois de mai et juin ont été beaucoup, beaucoup trop humides. D’où cette phrase d’Isabelle, après des semaines de cauchemars : « Si tu dois traiter pour sauver tes vignes, traite ».
Voilà, après des décennies à convertir leur vignoble en biodynamie, Franck et Isabelle ont eu recours à la chimie. Un mal pour un bien ? Peut-être.
Dans tous les cas, il était bien entendu impossible pour eux de commercialiser les raisins issus de cette vendanges.
« On a tout vendu au négoce ».
Un drame ? Pas nécessairement. Isabelle garde le sourire :
« Cette année nous a fait beaucoup grandir ».