Jean-Phi Bret, cette pile électrique du Mâconnais

Un regard sondeur-interrogateur-analyseur, un corps toujours en mouvement, faussement-posé-toujours-prêt-à-sautiller.

Un esprit, vif, très vif. Pas agité, non, mais une pensée capable d’aller très loin, très vite.

Le jour où vous rencontrez Jean-Philippe Bret, soyez en forme.



En forme pour être capable de suivre ses explications. Son savoir est immense, son amour du Mâconnais, terre chérie de sa famille, aussi. La Soufrandière, cette grande maison aux volets bleus au cœur de Vinzelles, il n’y a pas grandi.

Mieux : il y a passé ces moments parmi les plus précieux d’une vie, ceux des vacances scolaires, ceux de la liberté de l’enfance. Cette région, ce village, c’est une petite somme d’histoires d’amour.

« Le Beaujolais, c’est une super porte d’entrée pour la Bourgogne. De bons Gamays auront des équilibres similaires – si ce n’est meilleurs ! – à certains Pinots noirs. ».

NAISSANCE D’UN DOMAINE, NAISSANCE D’UNE PASSION

Fleur bleue je suis fleur bleue je resterai… J’ai forcément été conquise par son récit, qui débute en 1947, quand ses grands-parents paternels décident de s’installer dans le village : madame est née ici, monsieur accepte après une première vie professionnelle à Paris de « s’expatrier ». Ils acquièrent la Soufrandière, et un hectare de vignes.

L’histoire se répète paraît-il… car l’un de leurs fils, qui fait lui aussi carrière à Paris, tombe sous les charmes d’une jeune-fille de Vinzelles. Rebelote, le couple décide de s’installer au village, après avoir élevé leurs trois garçons en région parisienne.

La célèbre Roche de Soluté, dans la jolie brume automnale.

Et ce sont ces trois garçons qui vont véritablement faire de la Soufrandière ce qu’elle est aujourd’hui : en 1998, Jean-Philippe, Jean-Guillaume et Marc-Antoine s’installent au domaine. Ils seront vignerons.

Chacun s’est formé de son côté, en Champagne, en Bourgogne, au-delà des océans.

Ils ont multiplié les expériences dans différentes régions viticoles, ils ont observé, appris, découvert des philosophies fascinantes, utilisé des techniques et des savoir-faire parfois très éloignés de leurs intuitions.

Que ce soit au domaine des Comtes Lafon, où Dominique l’initie à la biodynamie, chez Jean-Marie Guffon, qui lui transmet une vision du métier, en Californie ou chez Mouton-Rotschild, où il s’imprègne de certains schémas d’organisation, Jean-Phi a aimé cette période intense, où il avoue avoir été une véritable « éponge ».

 Les Bret semblent être de ces gens curieux, rigoureux et obstinés. Aussi, quand ils décident de se lancer et de faire leur propre vin, ils ont su sédimenter leurs expériences, et déboulent avec en tête quelques principes auxquels ils sont très accrochés.

« Le vrai truc il se passe à la vigne, pas à la cave »

L’ÉVIDENCE DU BIO

Je me revois encore jouer aux petites voitures dans les vignes !

Traduction ? Un terrain de jeu sec, mieux que du bitume… La terre, le sol, les éléments supposés y apporter la vie étaient morts. Mais Jean-Phi et ses frères ont un attachement profond avec le vivant et sont prêts à bouleverser les traditions chimiques.

Une sensibilité à la nature qui vient de la famille : « Si je n’avais pas eu ce lien avec la nature, je n’aurais pas eu cette réflexion sur le bio ». Il parle de sa mère, qui aujourd’hui encore, à 71 ans, enchaîne les randonnées avec gourmandise.

Pour lui, le bio, c’est aussi synonyme d’une économie saine et dynamique : au lieu du ratio d’une personne pour 10 hectares, à la Soufrandière, c’est 1 homme pour 1,5 hectare.

Des vignes en meilleures formes, des hommes aussi : il plaisante sur ces confrères agriculteurs qui aujourd’hui ne sont plus que des « conducteurs de machine »… et qui s’étonnent d’être épuisés lorsqu’il s’agit de recenser tous les pieds de vigne potentiellement porteur d’une maladie du bois, en organisant un ratissage méticuleux synonyme d’une ½ journée de marche dans les vignes…

DU PARCELLAIRE SINON RIEN

Impossible, catégoriquement impossible d’imaginer autre chose : il suffit d’avoir un peu entendu Jean-Phi s’emballer sur ses terroirs, sur ce sol là à l’ouest, riche en argile-bidule, et sur celui là, un peu plus à l’est, carrément siliceux-machin-chose, avant de le voir embrayer tout aussi vite sur le premier sous-sol qui n’a rien à voir puisque composé de calcaire-pouêt-pouêt.

Oui.

Jean-Phi connaît sa partition géologico-géographique sur le bout des doigts. Et j’arrête ici les potentiels médisants : pas de snobisme intello ici, juste une passion, et un plaisir immense : celui de partager son savoir, de permettre au visiteur d’accéder lui-aussi à une compréhension globale du paysage, du climat, de tous ces facteurs qui participent à ce que l’on nomme grossièrement « terroir ».


Ses vignes, que ce soient celles qu’il cultive (environ 11 hectares, destinés aux vins étiquetés « La Soufrandière ») ou celles dont il ne va que récupérer les raisins à partir des vendanges (ce que l’on appelle de l’achat « sur pied », une forme noble de négoce, ici environ 10 hectares destinés aux vins étiquetés « Bret Brothers »), il les chérie, les chouchoute.

Il vous montrera les essais en cours, comme ces 6 rangs où ils n’ont pas mis un gramme de cuivre à la saison dernière : « Regardez, il n’y a plus une feuille ! Mais les raisins y étaient magnifiques ». Il s’étendra sur sa technique de labour, sur la souplesse de sa terre, sur la vie qui reprend…

« J’ai été vendangé chez un copain ce weekend ». Hyper-actif ? Non…

Avant de vous achever avec la dégustation (quand je parlais de puzzle… 23 appellations et climats, avec un travail parcellaire… ça donne autant de cuvées différentes à goûter… si l’on s’en tient à un seul millésime. #mamamia), Jean-Phi vous embarquera dans son antre : dans un bâtiment de 2010, entièrement pensé par les frangins, se cachent la cuverie, une salle d’étiquetage, une autre de stockage, et le chai.

Le nombre d’étiquettes te laisse imaginer le nombre de cuvées du domaine… et la séance de dégustation qui va suivre.

Et, au cas où vous n’avez toujours pas compris que le gars est un fou-furieux de l’organisation, là, vous n’aurez plus le choix. Capitulez.

Une petite centaine de fûts, qui attendent gentiment le travail du temps…

Chacun contient un jus différent, d’un bout de parcelle différent.

Un travail labyrinthique, une logistique de titan.

Et avec le sourire, sacrebleu.

Jean-Phi semble être l’exemple de ce que devrait être tout chef d’entreprise : un véritable manager, un roi de l’organisation, doté d’une vraie vision sur son métier et son avenir, ouvert aux autres, attaché à l’humain, avec toujours un regard, un mot pour son prochain.

Curiosité, bienveillance et confiance en l’autre.

Au court de la dégustation où je finis par m’emmêler les pinceaux dans les appellations, millésimes et Climats, je l’observe.

C’est rare, un homme qui sait sourire avec les yeux.

Aujourd’hui, les frangins font des essais sans soufre. Jean-Phi me propose une dégustation pédagogique : le même vin en élevage, avec ou sans SO2.

« C’est vraiment un terroir qui est caractérisé par son sol très blanc » : l’un de mes coups de cœurs, de la rondeur, de la légèreté, du fruit, légèrement perlant. Idem avec le millésime 2015, où je retrouve des sensations proches de Champagnes millésimés. Une puissance et une rondeur patinées…