Christian Vache est à la retraite depuis 2 ans… ou plutôt « en retrait ».
Comprenez : il bosse encore comme un grand malade, mais n’est plus le décisionnaire de la maison : « Je suis un ouvrier si vous voulez ».
Mouai… un ouvrier très impliqué quand même. Un ouvrier qui a tout créé sur le domaine, et qui aujourd’hui laisse les rênes à son fiston, Damien.
Damien qui, dès ses 17 ans, voulait le rejoindre : « OK, avec plaisir, mais reviens quand tu seras ingénieur ».
En 2008, Damien est revenu, son diplôme en poche. On semble têtu à la Monardière…
Je suis à peine surprise quand j’apprends que vigneron, ce n’était pas la voie qui lui était destinée, à Christian : s’il est bien originaire du village, il en est parti très vite, pour travailler à Grenoble chez Hewlett Packard, en tant qu’ingénieur électronique.
Il y rencontre sa femme, Martine, une savoyarde. Lui-même m’avoue d’ailleurs se sentir « montagnard dans l’âme ».
Alors pourquoi ce changement, ce virage professionnel et ce retour au pays ? « On avait envie de faire un truc ensemble ».
Trente ans après, Christian semble toujours aussi pudique sur cet aveu. Un aveu si simple et si étonnant à la fois. C’est si rare, un projet de couple de cet ampleur… qui réussit.
Certes, la famille avait quelques vignes : 4 hectares. Il a fallu en récupérer d’autres, et commencer raisonnablement, progressivement : d’abord donner les raisins à la coopérative, puis bâtir leur propre cave, et réaliser leur rêve : faire leur vin.
Une partie de ce nouveau métier est naturelle pour Christian. Il n’a pas eu besoin d’entreprendre une formation, lui qui a grandi là, au milieu des coteaux : « Avec mes frères, à 5 ans on ramassait les sarments dans les vignes. Je connaissais plein de choses, sans en avoir conscience. Même quand je vivais dans les Alpes, mes vacances étaient toujours calées en fonction des vendanges ! »
La Monardière, c’est ça : une histoire de reconversion qui n’en est pas vraiment une. Le caveau de réception date de 1920, la nouvelle salle de dégustation professionnelle sent encore la peinture fraîche.
On entre ici dans le vif du sujet… Imperceptiblement, Christian se transforme. J’ai à présent devant moi un enfant surexcité de me montrer sa cabane. Chaque bout de mur, chaque cuve, chaque aménagement, il peut me raconter, m’expliquer. Les poutres d’époque, la vieille porte… on est au-delà de la fierté, on est dans l’intime. 30 ans de travaux, de réflexion, de sueur et d’huile de coude.
Si je résume, côté viticulture ou bricolage, pas trop de souci. En revanche, Christian admet que, côté vinification, il a bien flippé pendant ses premières années. C’est un de ses oncles qui l’a beaucoup aidé. Et puis il fait partie des membres fondateurs des « Toqués des dentelles » : un groupe d’échange entre vignerons passionnés de leur terroir… des « vignerons paysans » comme ils se définissent, pour la plupart en bio.
Pour Christian et Martine, cette question de travailler en bio allait dans le sens de leur itinéraire personnel : « On est partis de l’industrie pour ici… Pour nous c’était une évidence« . Une évidence de travailler propre… pas d’accoler un label. Que ce soit bio ou biodynamie, Christian n’aime pas les étiquettes : « C’est emmerdant ces certifications, on a l’impression d’être dirigé dans notre travail ».
Il a fini par céder, suite à l’insistance de clients danois qui avaient besoin du fameux sésame pour continuer de vendre leurs vins. Mais pour Christian, l’essentiel est ailleurs : « On respecte les principes paysans de la biodynamie ». Christian s’emballe un peu sur cette question : « Moi je les connais toux ceux qui sont en biodynamie… 80 % ce sont des commerciaux ! » Il me parle des jours fleurs, des jours fruits, il plaisante en se moquant gentiment d’un voisin qui a planté ses nouveaux pieds un jour fleur (#CQFD).
« Voilà il y a des choses évidentes, par exemple on a toujours taillé les grenaches à la vieille lune » !
Évidemment.
La cuverie, parlons-en, est une véritable caverne d’Ali Baba : un étage en cache un autre puis encore un autre. On descend peu à peu, puis on est enterré sous terre, au frais et dans l’obscurité la plus totale. Un structure en béton armé, qu’il s’excuse presque de ne pas avoir fait lui-même cette fois.
Ce vigneron qui a sorti de terre un domaine entier, a réussi ce difficile exercice de la passation : s’il se réserve quelques vignes pour aller tailler tranquillement le dimanche matin, ou encore qu’il est le seul à manier la pelle mécanique au sein de l’équipe, il a tenu à faire « place nette » pour Damien, qui a repris la maison familiale pour être au plus près du travail. Christian et Martine ont eux déménagé au centre du village, et profitent de ce nouveau rythme, non pas de retraités – vous l’aurez compris – mais définitivement plus de gestionnaires.
Quand vient l’heure de déguster, ce que je soupçonnais se confirme : Christian peut être très drôle. Tout en découvrant une gamme d’une très grande finesse, je me marre. On attaque ainsi par la cuvée MON, un rosé 2015, réservé à la restauration. Une robe saumon cuivré, un vin tendu, long en bouche, mais qui n’est là que pour « me rincer la bouche avant de commencer ». Pourtant déjà une belle surprise.
Viennent ensuite les trois cuvées en rouge, qui correspondent à trois grands terroirs : Les Calades*, Les Deux Monardes, et une cuvée de vieilles vignes issue d’une sélection parcellaire de coteaux et de garrigue. Ah, ces vieilles vignes, elles ont bien morflé en 2012 me raconte Christian… « De toute façon, les vieux, ça dégage quand il fait trop froid ou trop chaud ». Voilà voilà…
En tout cas, rien qu’au nez, on a ici un vin d’une grande fraîcheur, puis une sacrée souplesse en bouche, avec des tanins joliment fondus. Les 18 mois en demi-muids y sont probablement pour quelque chose, mais l’essentiel est quand même dans l’âge et la sagesse de ces vieux pieds de Grenache, Syrah et Mourvèdre.
Quant aux fameux blancs de la maison, l’histoire est assez rigolote. « J’ai commencé à faire des blancs en 1996, pour m’amuser ». De fait, ce n’est pas un exercice évident dans le coin, au vu des fortes chaleurs notamment : « Il faut être vigilant : on n’a pas des terroirs ni des climats pour faire des volumes en blanc… Sinon on fait des blancs technologiques ». Il plaisante, il plaisante, mais il se donne les moyens de développer ce projet : aux vendanges, les raisins sont ramassés à l’aube dans de toutes petites caisses par les meilleurs vendangeurs, avec un tri sur pied. Dès 9h, le pressoir tourne. Les jus partent ensuite dans la cave climatisée, et protégés par carboglace pour éviter d’avoir la main lourde sur le souffre. Vient ensuite un an d’élevage, avant la mise en bouteille qui a lieu juste avant la vendange suivante. De vrais blancs de garde en somme…
Mais Christian reste modeste, et rit, conscient de cet énième challenge qu’il s’est imposé : « Si on ne peut pas les vendre, on les boira ». Bon, en l’occurence, pas de souci pour les commercialiser ces cuvées, c’est plutôt l’inverse, mieux vaut réserver… très en avance.
La dégustation s’achève, et Christian me demande si je connais le sens du mot galéjade : une histoire provençale, dont on ne parvient pas à savoir si elle est vraie ou non…
Un peu comme cette très jolie rencontre, tiens. Trop vite passée…
*Une calade : un chemin empierré, pour faire passer les chevaux et autres bestioles.