Marc Soyard, un Jurassien en Eldorado bourguignon

Un drôle de nounours. Un grand gaillard bien bâti (je ne sais pas s‘il a des frères et sœurs, mais si j’étais à leur place, sûr que je ne le taquinerais pas trop. Pas envie de me retrouver dans une bagarre avec le bonhomme, même pour rigoler), à la douceur extrême et à la volonté très affirmée.

Marc Soyard m’a intriguée, dès les premières secondes de notre rencontre.


LE LOCATAIRE DU DOMAINE DE LA CRAS

Je suis arrivée en plein pressurage de Pinot noir. On attaque par le vif du sujet, ce pressoir vertical qu’il vient tout juste d’acquérir, et dont il est hyper content. Bien que supposé plus ancien, ce type de joujou permet des réglages plus fins, plus doux, un travail dans la dentelle… et le silence. Oui, on n’y pense pas, mais le pressoir pneumatique – véritable investissement pour un vigneron indépendant – c’est TRÈS bruyant. Quand tu le fais tourner des heures et ce pendant plusieurs jours, ce n’est pas négligeable. Aujourd’hui, suivant la qualité et la nature des raisins qu’il rentre, Marc s’offre le choix de l’outil.

Une fois passée cette introduction immédiatement technique (et le pressoir programmé tranquillement), on attrape des verres, la pipette magique, et on file dans le chai.

Là, Marc s’adosse au mur, et prend le temps de faire davantage connaissance, avant d’entamer la dégustation des jus qui mijotent en barrique (les vendanges sont terminées depuis moins de 15 jours !).

Avec un ton calme et chantant, il m’explique son cas un peu particulier : le Domaine de La Cras, dans lequel je viens donc de mettre les pieds, c’est une espèce de location à durée déterminée. Suite à un appel à candidature de l’agglomération de Dijon, il a gagné le droit de poser ses valises ici, et d’exploiter les 8,10 hectares qui menaçaient d’être abandonnés après le décès de leur ancien propriétaire. Pour les 25 prochaines années.

Une situation qui ne manque pas de me surprendre : quand on sait l’investissement – temporel, financier, mais aussi affectif ! – qu’un vigneron peut porter à ses vignes, et quand l’on conjugue cette première notion au temps de la plante, à la patience qu’il faut démontrer pour la voir se développer, et avec elle la vie des sols, de l’écosystème environnant… sans même parler de la phase suivante, celle de la vie du raisin transformé en vin… 25 ans, ce n’est rien !

Tout du moins si l’on travaille dans cette philosophie là…

Ce que Marc me confirmera sans même que je n’ai besoin de poser la question. Oui, au fil de notre rencontre j’apprends qu’il est de ceux qui travaillent en véritable « jardinier » leurs parcelles.

FAIRE CE QU’IL VEUT QUAND IL VEUT

Ainsi, il a dès son arrivée tout converti en biologique, et utilise des préparations biodynamiques sur une partie d’entre elles.

La raison ?

J’avais envie de manger mes raisins dans mes vignes, quand j’en avais envie.

Souvenir traumatisé d’une visite chez un vigneron, lors de son BTS, qui a brusquement interdit à son enfant de porter les grappes de ses propres vignes à la bouche…

Oui, ces vignes il les chérit, même si elles ne sont pas vraiment à lui. Mais il ne semble pas gêné outre mesure par cette idée. Ce qui l’importe, c’est de faire du vin, du bon vin.

Alors, de fait, par précaution – car finalement, qui sait ce qui se passera à la fin de cet espèce de bail ? – il acquière progressivement aux alentours quelques parcelles en son nom propre. Mais il a une lucidité sur la terre, et sur le fait que, quoiqu’il arrive, elle ne nous appartient pas vraiment… Il ne démontre aucune fierté, mais semble heureux d’appliquer enfin en son domaine les résultats d’années d’apprentissage chez les autres.

Car c’est finalement ça le plus bluffant : Marc sait exactement ce qu’il veut faire.

Quand je le lui fais remarquer, il sourit :

Quand tu tailles tout l’hiver, t’as le temps de réfléchir.


Il ne citera que certains passages clés de son parcours, comme cette saison en Provence où il découvre les vins sans soufre. Avec un collègue, fasciné, ils se sont pris au jeu et ont testé des vinif’ « nature » dans leur coin, grâce aux raisins d’une parcelle non vendangée cet été là, avant de découvrir plus tard le monde des possibles (et des ratés) que cela leur ouvrait.

Il évoquera plus tard son stage de 3ème chez un vigneron, moment révélateur, ou sur cette longue et passionnante expérience en tant qu’employé à Vosne-Romanée.

Jusqu’à cette opportunité de s’installer à son compte, ici, au cœur des Coteaux Dijonnais.

LA PÉPITE CACHÉE DE LA BOURGOGNE

Pas de prestigieux crus dans ce coin de Bourgogne, et pourtant… l’étranger ne s’y trompe pas : près de la moitié de ses bouteilles sont réservées pour l’international : Montréal, le Japon, la Corée, Taïwan, ou encore le Danemark ou la Suède… Avec des rendements très faibles – choix de viticulture mais surtout climat des dernières années oblige – il n’y a pourtant pas beaucoup de vin à vendre.

Mais étant donné qu’il fait le choix de travailler en parcellaire, voire en micro-parcellaire quand cela se révèle possible, il y a de nombreuses choses à goûter ! Surtout qu’il ne force pas ses fermentations, qui pour certains vins issus du millésime 2016 ne sont toujours pas complètement terminées.

En même temps que l’on goûte ces cuvées en devenir, on parle cuisine : levures indigènes, foulage aux pieds, macération carbonique… Marc est à la fois curieux et touche à tout, tenté par de nombreuses expérimentations (pensée émue pour ce rosé sous voile oublié au fond à droite, là-bas), et en même temps très décidé sur ses orientations et la précision des vins qu’il veut faire.

Ainsi cette cuvée qu’il faisait au départ, et qu’il n’a déjà plus dans sa gamme, malgré un certain succès :

J’en avais assez de faire un vin que j’avais pas envie de boire.

Un tiers de blanc, deux tiers de rouge, une quinzaine de vins goûtés ce jour, des jus 2017 tout juste mis en tonneaux à ceux de 2016 qui se rapprochent de la mise en bouteille, sans oublier (ou presque) les « essais » savamment mis de côté 😉 Coup de cœur en rouge pour la cuvée Cras 2016… et ce vin oxydé, dont je suis si curieuse de connaître la suite de l’histoire.

L’homme est joueur, et sensible aux jeux de mots : en témoigne ce vin primeur baptisé « Déprimeur », ce mini salon organisé avec une bande de copains intitulé « Réunion Tu peux r’boire », ou encore cette étiquette on ne peut plus explicite d’une jeune fille savamment courbée pour illustrer la cuvée « Montrecul ».

Impossible de ne pas répondre à son rire, quand il avoue qu’en plus, cette parcelle (oui, c’est le nom du lieu : en Bourgogne, les anciens ont fait dans la poésie pour s’y retrouver dans la géographie du vignoble), il n’aime pas trop y aller :

J’arrive pas à la dresser encore.

Si j’osais, je lui rétorquerais que pour un Jurassien né à Saint Claude – capitale de la pipe – c’est un comble.


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