[PORTRAIT]
Ce 1er octobre 2016, me voilà dans les vignes de Pierre Mirande*, sises à Saint-Émilion, pour deux semaines intenses, festives, fatigantes et passionnantes. Le récit de cette immersion « les mains dans le cambouis raisin » au Château La Rose Côtes Rol viendra très vite. Mais, aujourd’hui, j’ai envie de vous présenter ce vigneron qui m’a ouvert les portes de son domaine, de sa maison, de sa famille.
Pierre, c’est quelqu’un qui va vite, très vite, que ce soit dans sa tête ou dans ses explications (et même en vélo, paraît-il). Il faut s’accrocher pour suivre son raisonnement, être un peu chanceux et beaucoup concentré pour réussir à anticiper sa prochaine action.
Il vous dira qu’il n’est pas un stratège et qu’il serait vite éliminé à Koh-Lantah. Que nenni.
Pierre Mirande c’est aussi quelqu’un qui, entre 2 calculs mentaux et 3 décisions à la minute, a eu le temps d’observer que vous étiez émue ou fatiguée. Quelqu’un qui sait débrieffer, hopla-comme-ça-ni-vu-ni-connu, en buvant un canon avec l’un de ses employés (même s’il préférera toujours dire « collègueu » avec l’accent qui va bien, et sans hiérarchie aucune). Les micro erreurs de la semaine, les progrès à encourager, tout ça en taillant une fine lamelle de Tête de moine.
La transmission, le management des équipes, Pierre a ça dans le sang. Pas étonnant qu’il ait été coach de rugby pendant près de huit ans. Ce qui l’intéresse ? La trajectoire de l’autre, pour mieux le cerner, le comprendre, et l’aider. Et là, on touche à deux autres caractéristiques de cet homme qui se rêvait prof d’anglais ou oenologue : une immense sensibilité, et une générosité qu’il apprend à doser. Il n’a pas peur de s’émouvoir devant le dernier film d’animation en compagnie de ses deux fils (#jenebalanceraipas), et est engagé dans de nombreuses causes, que ce soit caritatives ou sociétales.
Mais Pierre, quoiqu’il dise, quoiqu’il pense, c’est surtout un vigneron.
Quelqu’un capable, en 2 semaines, de ramasser 10 hectares de vigne, de checker la météo 4 fois par jour et de te décrire la nature exacte de la rosée du matin, d’aller faire en urgence le contrôle technique du fourgon, d’hésiter pendant 1/2 heure sur quelle quille nous faire découvrir pour le prochain dîner mais de décider en 1,7 secondes que c’est parti, on annule tout et on ramasse en urgence cette parcelle là-tout-de-suite-maintenant. Quelqu’un qui trouve ça « quasiment érogène » d’être pieds nus dans sa cuve à pelleter son raisin, qui garde le sourire quand le mustimètre** est cassé (#meaculpa) et décide de carrément se marrer quand il s’assoit sur celui qu’il vient d’aller emprunter à un copain, à 21h, et qu’il faut absolument prendre les densités des cuves.
Dans la même journée, il va connecter 237 fois des tuyaux et actionner ses pompes une bonne centaine de fois. Il va grimper en haut des cuves et redescendre, recevoir un courtier, appeler des clients fidèles pour vérifier un problème d’usurpation d’identité, aller à la gendarmerie signaler l’incident, faire un saut en ville acheter des produits œnologiques, changer le pneu du tracteur qui est crevé, réserver la machine à vendanger pour le surlendemain, aller dans ses vignes vérifier l’avancement de la maturité, et prendre le temps d’aller dîner avec sa famille avant de revenir pour les dernières tâches du soir. Bon, des fois, sa famille, c’est l’équipe. Mais il ira toujours faire un bisou aux garçons et à son épouse avant de se coucher.
6h-23h. 17h de travail, avec des coups de sang, des coups de stress, mais le sourire, toujours, la chansonnette, parfois.
Il pense qu’il n’aura jamais le niveau de son père. L’intuition, l’ouverture d’esprit de cet homme qui habite là, juste en face, et qui, à 81 ans, est toujours fidèle au poste. Qu’il s’agisse de conduire le tracteur ou d’accueillir des clients, Yves Mirande continue d’accompagner discrètement son fils vers cette voie qu’il lui a léguée.
Pas facile de voler de ses propres ailes quand on admire autant son père. Un homme un chouilla complexant il faut le dire, capable, à un mois des vendanges, d’encourager son fils à vendre la vieille machine à vendanger et à louer l’une de ces machines de compèt’, qui non seulement permettra un gain de temps incroyable, soulagera le travail des équipes, mais protégera aussi mieux les pieds de vigne.
Il faudra une hospitalisation en urgence pour crise d’appendicite sévère, à 10 jours du D-day, pour que Pierre s’y résolve.
Ou quand le profond respect de la tradition est confronté à l’audace d’un père visionnaire…
Peu à peu, ce rugbyman qui accroche des vélos de course dans son chai, qui s’est inscrit à un marathon pour financer les soins des enfants de la lune, forge l’identité de ses vins. Des vins d’ici, des vins qui tâchent, rouges et tanniques, mais des vins qu’il veut féminins, sensibles et complexes. Il le dit le premier « J’aime recueillir l’avis des femmes en dégustation. Je trouve ça souvent plus juste, plus proche de ce que je recherche ». Et c’est peut-être là qu’il parvient à créer sa singularité : dans la recherche d’un vin qui lui ressemble.
Entre sa passion (son don ?) pour l’oenologie et sa finesse de dégustateur plus qu’averti, Pierre n’a pas toujours conscience qu’il a réussi ce numéro d’équilibriste incroyable : s’inscrire dans la lignée familiale tout en développant son propre style.
Un regard perçant et doux à la fois, une humilité et une conviction presque antinomique… J’adorerais me télétransporter dans 10 ans. Qu’il soit consultant au pied du Mont Ventoux ou l’un de ces vignerons qui font l’honneur de Saint-Émilion, je suis certaine que Pierre Mirande n’a pas fini de m’émerveiller.
J’aime croire au hasard, aux rencontres qui ne se décident pas… Mais avec Pierre, j’aime à croire qu’il y a eu autre chose : un amour de l’humain, une curiosité de l’autre, une passion du partage.
*Il y a bientôt un an, nous avons été présentés par une amie commune lors d’un petit salon de la gastronomie (lien ICI). Une quête de sens pour moi, une générosité immédiate pour lui, très vite, on accroche, on papote, et on garde contact. Il m’invite aux primeurs (LÀ), puis à la fête de la Jurade de Saint-Émilion (ICI). Et – ça paraît presque évident, a posteriori – je lui propose de renforcer ses équipes pour les vendanges.
**Le mustimètre – et non musicomètre (oui, bon, ça va, hein) – ça ressemble à un petit thermomètre, mais en fait, ça mesure si ton glouglou là, il est plutôt dense ou non. En fait, plus ton moût se charge en alcool, plus sa densité diminue. Du coup, en bon petit chimiste, tu sais exactement quand c’est prêt. À taaaable !