Rencontre au Mas Foulaquier : Pierre, l’architecte du vin.

Impossible de vous parler du Mas Foulaquier sans vous parler du lieu.

C’est tout simplement un de ces lieux emprunt d’une telle douceur de vivre, d’une telle lumière, comme hors du temps et ancré dans l’histoire, que l’on s’y sent immédiatement bien.

En attendant Pierre, qui venait d’emmener ses enfants à l’école, déjà, je commençais à m’imprégner de cette harmonie…

On est ici au Nord du Languedoc-Roussillon, au pied du Pic Saint-Loup.

Une appellation à part entière, qui réunit à peine 13 villages, et dont la réputation est largement établie depuis quelques années.


L’une de ces jolies pépites du Languedoc donc… qui a essuyé une belle plâtrée en 2016.

La parenthèse climatique vaut la peine d’être ouverte, ne serait-ce que pour comprendre que l’atmosphère de ce lieu, que j’évoquais plus haut, ne va pas sans une certaine gravité : le 17 août dernier, à quelques semaines de l’ouverture des vendanges, un orage de grêle d’une violence historique a détruit près de 50 % du vignoble. Sur certaines parcelles, on se serait cru en hiver : en moins de 30 minutes, plus aucune feuille, plus une grappe, et le cep de pied parfois fortement abîmé par l’impact de grêlons plus gros que des balles de ping-pong.

Un cauchemar, duquel certains vignerons peinent encore à se relever.

Pour Pierre et Blandine, ce fut 70 % du domaine qui a ainsi été perdu, à 10 jours de la récolte.

Pudique – superstitieux ? – Pierre n’évoquera que du bout des lèvres cet épisode apocalyptique.

Tellement difficile d’imaginer une telle catastrophe en cette journée de printemps, quand la nature semble si généreuse et joyeuse.


C’est vrai que c’est une belle journée pour partir à la découverte de ce terroir.

Blandine est actuellement en tournée à Londres, avec leur importateur, c’est donc Pierre qui me reçoit. Il m’emmène dans certaines de ses parcelles, pour me présenter son équipe, m’expliquer les spécificités de leur travail, et me raconter un peu son histoire.

Serrage de mains, sourires, échanges sur les tâches en cours, complicité et amour du travail bien fait. Je ressens un peu de tout ça en observant Pierre discuter avec Gaspard, Jean-Charles et Cédric.

Une fois de nouveau seule avec lui, on en parle : avoir une équipe hyper concernée, avec une vraie confiance, c’est un tout :

« En biodynamie, l’humain est aussi important que le reste. »

Cette philosophie de l’échange, de l’esprit d’équipe et d’un management sain, ça représente aussi son histoire, quelque part.

Car avant d’être vigneron du Languedoc, Pierre était architecte : à Genève d’abord, puis sur un programme de développement des villes moyennes au Burkina Fasso.

Une autre vie ? Pas tellement à l’entendre.


Oui, parler de reconversion (hou le vilain mot) serait bien trop radical à mon sens.

Pierre est un bâtisseur, un meneur de projets, que ce soit pour une halle de marché en Afrique* ou pour la renaissance d’un vignoble abandonné.

C’est amusant, lui se décrit comme un pragmatique avant tout : « Je suis quelqu’un qui aime la terre, je ne suis pas un concepteur ».

Non, non, on n’est pas discrètement en train de creuser une tombe, hopla-ni-vu-ni-connu. Benoît est en train de créer une fosse pour effectuer une analyse des sols. La conclusion en attendant l’expert ? « Tu m’étonnes que cette parcelle-ci ne soit pas notre plus intéressante… Ça donne pas très faim là-dessous » #seprendrepourunpieddevigne

Bien sûr, il y a des dates, des tournants : le Mas, il y est arrivé à la fin des années 1990. Mais le vin, c’est une passion depuis toujours. Tout est imbriqué.

Dans cette famille suisse protestante, c’est un grand-père épicurien « qui faisait un peu tâche », qui lui a transmis cette curiosité pour la dive bouteille. Et le Sud ? C’est pareil, ça fait partie intégrante de lui, de son imaginaire… Pagnol, la Méditerranée, la naissance de la vigne en France… Et ce lieu ? Parce qu’il voulait un petit domaine (8 hectares à l’époque, 15 aujourd’hui), mais aussi un terroir d’exception, avec un paysage un chouilla montagnard, pour lui rappeler sa Suisse natale.

On en revient au lieu… « C’est un lieu un peu magique, Foulaquier. C’est isolé, entre les vignes et adossé à la forêt, mais on va à l’école à pied ».

Il rit et ajoute : « Bon, le seul truc, c’est que c’était un peu cher pour moi ». Retour à la réalité… C’est finalement grâce à l’aide d’une tante et d’un ami passionné qu’il parvient à acquérir le domaine.

La cave de vinification a été entièrement construite lors de l’arrivée de Pierre au domaine, avec les pierres ramassées dans les vignes (#dingo). Ici, les vinifications se font en douceur : « C’est comme le sachet de thé : l’infusion elle sort ce qui est mûr, le reste doit rester dans le sachet ».

Depuis 2011, il a pu racheter ses parts :

« La liberté n’a pas de prix… Le fait de te sentir chez toi, ça te donne des ailes ». 

Et de me souffler que, même si ça a toujours été lui, le décisionnaire du domaine, savoir que l’on est officiellement le seul maître à bord, ça change subtilement la donne : « C’est étrange, même les vins se sont mis à goûter de mieux en mieux à partir de notre totale indépendance… »

Émotion énorme quand je déguste le « Petit Duc » 2016, 100 % Grenache, actuellement en élevage dans une amphore géante : profondeur, légèreté… Un toucher en bouche d’une grande délicatesse. C’est juteux, gourmand… on a envie de croquer dedans.

J’apprends ensuite qu’il s’agit justement des raisins issus des parcelles qui ont grêlé à 70 %, et dont il ne reste… que cette amphore. La nature a pris, mais le vin est là…

Coucou le poireau ! #diversité

Émotion aussi, quand il me présente la parcelle où ils ont fait leur toute première plantation, en 2009, avec un joli mix de cépages blancs : Clairette, Grenache blanc, Bourboulenc, Muscat petit grain, Rolle…

Là aussi, ils se sont donnés les moyens de respecter leurs ambitions et leur philosophie : ils ont augmenté la densité de plantation (6000 pieds/ha quand la moyenne est de 4000 dans le secteur) pour pousser à un enracinement plus en profondeur, ils n’ont utilisé que des plants en sélection massale, sans engrais ni hormone : « Le résultat va au-delà de ce que l’on avait imaginé ».

Non seulement les pieds ont bien pris, mais en plus la diversité de la flore est incroyable sur cette parcelle, qui avait été au repos pendant 20 ans !

Toujours dans l’expérimentation, la recherche de l’excellence, mais surtout peut-être dans cette logique de symbiose avec le vivant, Blandine et Pierre ont également depuis 2 ans un petit troupeau de brebis** pour une tonte naturelle des parcelles… et une fumure animale !

« Et puis ça amène quelque chose… Pour moi, quand une brebis passe 3 jours sur une parcelle, il y a des petites informations qui passent. II y a aussi un aspect purement affectif : on n’est plus un domaine viticole, on est une ferme. Ça change l’atmosphère ».

Petit à petit, morceau par morceau, Blandine et Pierre reconstituent ainsi le Mas d’origine, qui comprenait la bâtisse, bien sûr, mais aussi les vignes alentours et le bois derrière. Le premier Mas de la région, en dehors du village, autonome. C’est d’ailleurs à la naissance de Rosalie, leur petite dernière, que Monsieur Condami, le fils de l’ancien propriétaire qui possédait encore une partie des terres historiques du domaine, a enfin consenti à leur vendre.

Et Pierre, de préciser : « Il ne nous l’a pas donné à nous, mais à Foulaquier ».

Le Mas Foulaquier : une terre, une histoire, un vin.



Pour plus d’informations sur cette appellation, le site officiel ICI.

Pour aider les vignerons touchés par les conditions climatiques cauchemardesques de 2016 (Chablis, Loire, Pic Saint Loup…), rendez-vous sur le site ou la page Facebook de l’association Vendanges Solidaires.


*Halle de marché bâtie en briques de terre crues, une réalisation pour laquelle il a reçu le Prix TERRA AWARD de l’Architecture en terre, en juillet 2016 🙂

**Troupeau qui est ensuite pris en charge par le berger de Acquière, Patrick Mayet, du printemps à l’automne (quand les vignes poussent) : il les emmènent en transhumance, mais il les tond aussi… « Un grand service pour nous !« , comme me souligne Blandine par email, quelques jours plus tard.