L’alignement des étoiles… ou la seconde vie du Mas Cal Demoura

« On fait un produit qui donne du bonheur aux gens ».

Vincent se retourne, regarde Isabelle, sa femme, et sourit.

La complicité qui unit ces deux-là est incroyable.

Quand ils me reçoivent, dans leur jolie propriété de Jonquières, dans le bas des Terrasses du Larzac, je ressens très vite un doux mélange d’énergie, de simplicité et d’exigence.


Leur amour du vin, ils l’ont cultivé séparément. Ni l’un ni l’autre n’était prédisposé à cette vie de vignerons qu’ils mènent depuis maintenant 13 ans.

Des dégustations, des rencontres, un club d’oenologie… chacun a formé son palais, et attisé sa curiosité. Leur rencontre s’est faite à Paris, dans le cabinet d’audit et de conseil dans lequel ils ont évolué pendant près de 10 ans.

Ils font donc partie de ces « néovignerons », qui ont tout lâché pour un retour à la terre :

« On en avait vraiment assez du monde dans lequel on vivait ».


Au départ, le désir reste timide.

« On s’est dit qu’on avait peut-être quelque chose à faire pour être heureux dans notre travail ». 

Mais dans leur vie de véritables Parisiens d’alors, point d’économies de côté… Et déjà 2 enfants à charge. Ils rêvassent, et se disent que, en 10 ans, ils arriveront probablement à se constituer une cagnotte à la hauteur de ce projet aussi fou qu’encore flou.

Vincent démarre une formation de technicien en oenologie à Dijon, où il se rend tous les vendredi. Histoire de préciser un peu cette envie, et d’acquérir quelques compétences.

C’est alors qu’intervient la restructuration du service dans lequel il travaille : il entrevoit la possibilité de se faire licencier, avec les conséquences économiques qui en découlent…

Isabelle résume, les yeux rieurs : « Il y a ces moments dans la vie, où l’on assiste à un alignement des étoiles… c’était un petit clin d’oeil du destin ». Et Vincent de rester pragmatique : « Potentiellement, les choses allaient peut-être pouvoir s’accélérer… »

« Les négociations les plus difficiles sont celles que l’on mène avec soi-même »

De fait, les choses s’accélèrent sérieusement : on est en 2002, Vincent se forme alors intensivement et passe un brevet qualifiant à Beaune (Oui, vous avez bien lu qualifiant : en France, pour être ministre, aucune certification n’est requise, mais pour être vigneron, un brevet est obligatoire. #onmarchesurlatête).

Le couple entame en parallèle les recherches pour l’acquisition d’une propriété et, très vite, l’étau se resserre sur le Languedoc : la terre y reste abordable, et c’est l’une des régions où tout est encore possible…

« Il y a cet esprit pionnier dans cette région, avec à la fois des gens d’ici qui ont su tout remettre en question par rapport à leurs parents, et des gens de l’extérieur, qui ont amené un autre regard. Ça crée une communauté d’esprit, qui a énormément dynamisé la région ».

Le 12 novembre 2003, Vincent visite pour la première fois le domaine. Une évidence.

« C’est là », sentira-t-il.

Isabelle partagera immédiatement son engouement pour ce lieu, dont le nom patois signifie « il faut rester »Tous deux rient, presque nerveusement, de ce nouveau clin d’oeil… 

Six mois plus tard, Isabelle et Vincent Goumard sont les nouveaux propriétaires du Mas Cal Demoura.

« C’était un projet de vie aussi : à Paris, c’est la nounou qui élevait les enfants… Depuis que l’on est ici, on a toujours des journées infernales, mais on est là quand les enfants rentrent de l’école. »

Évidemment, ils sont attendus au tournant, et l’on se dit qu’en tant qu’ex-Parisiens branchés, ils vont peut-être assurer côté communication et commercialisation… mais quant à la qualité des vins ou à la réalité du travail paysan que représente le métier, c’est pas gagné.

C’est tout l’inverse qui se produit.

Ils vont connaître 4 années très difficiles pour la vente de leur vin… et se révéler d’excellents vignerons. D’emblée ils se passionnent pour ce métier de la terre, à en oublier presque qu’il faut aller jusqu’au bout de la chaîne, et donner une rentabilité à leur labeur.

« La partie positive est encore plus dingue que ce qu’on imaginait » #carpediem

Vincent et Isabelle ont à la fois une rigueur scientifique digne du premier de la classe, et une sensibilité à la nature, au vivant, qui les pousse très vite à se rapprocher de la philosophie bio, puis biodynamie.

Ils sont tombés au bon endroit… Ils sont les voisins directs d’Olivier Jullien, vigneron précurseur de ce mouvement dans la région : « Il n’y avait rien d’évident, mais on est devenu très proches ».

Des échanges donc, mais aussi beaucoup de lectures, et de formations : « C’est un métier où, quand on a envie de progresser, on est en formation permanente. Les choses ne sont pas du tout figées… En 13 ans, on a parcouru un chemin énorme ».

Le passage en biodynamie du domaine s’est donc fait avec ce bon sens qui les caractérise : « On est pragmatique, pas dogmatique ! »

Ils ont choisi une parcelle témoin, l’ont divisée en 3, pour y tester 3 types de cultures différentes sur plusieurs années : « Mais en moins d’un an, les résultats sur la portion en biodynamie étaient tellement spectaculaires, qu’on a opéré la conversion de l’ensemble du domaine plus rapidement que prévu*. »

Et de me citer des exemples, concrets et visibles de cette métamorphose : « Rien que la manière de se positionner des feuilles était différente : moins d’entassement, plus d’air, et donc plus de lumière… ».

Coucou la petite préparation de bouse en biodynamie 😉

Petit à petit, la personnalité de leur vin s’est donc dessinée. Quand vient le moment de déguster, nous commençons par des prélèvements directement au fût… Rien que leur assemblage de vins de presse 2016 me scotche. C’est à la fois d’une précision inouïe, ça mêle douceur et puissance, c’est d’une ampleur incroyable.

Les vieux Grenaches de la parcelle Gineste me séduisent particulièrement (une fraîcheur superbe au nez, qu’une bouche gourmande et généreuse vient joliment compléter), mais au chai mon coup de coeur va peut-être à la Syrah des Cambariolles, à l’énergie… vibratoire. Quand nous passons aux vins en bouteille, j’ai une véritable surprise avec la cuvée Paroles de Pierres (2015), un assemblage Chenin / Grenache blanc / Petit Manseng : la dichotomie entre la salinité, le pep’s et la structure, les notes légèrement fumées, me font saliver et mon estomac se met à gargouiller… efficace !

J’en reviens à ce sentiment d’exigence qui m’a frappé dès mon arrivée : ici, rien n’est laissé au hasard.

« Faire du vin ce n’est pas compliqué… après, le diable est dans les détails ».

« La beauté n’est jamais vaine »… Que ce soit dans les vignes, dans la cave, et même – il me semble – dans leur vie, Isabelle et Vincent s’efforcent de conjuguer beauté… et bonté.

Isabelle compare leur travail au spectacle d’un danseur : « Si c’est réussi, tu as un effet de simplicité, tu ne devines pas l’extrême rigueur qu’il lui a fallu pour arriver là ». Car c’est bien dans la foultitude des détails que réside la difficulté… Ne rien lâcher ? Oui, mais avec équilibre.

« Un truc pas facile mais essentiel, c’est de faire confiance au vin », me glissent-ils, le visage soudain très sérieux. 

Et Vincent d’ajouter : « Le luxe, c’est de trouver le bon réglage entre être attentif, et ne pas être trop interventionnistes… Comme avec des adolescents en somme ». Et ils savent de quoi ils parlent, entre leurs fils Jules et Antoine, qui ont respectivement 15 et 17 ans ! Entre savoir faire confiance… et se faire confiance.

Intrigant, de constater à quel point la dégustation de ces vins pousse à de jolies réflexions. Le vin, les enfants… la vie.

Merci Isabelle et Vincent, pour cette parenthèse rêveuse… et savoureuse. 

 


*À l’exception de cette parcelle témoin, of course.