Rostaing père et fils : 12 minutes et 2 heures en vertigineuse Côte-Rôtie

Dans la famille Rostaing, je voudrais le père et le fils.

Bon, le père, je le verrai… 12 minutes 30.

Montre en main.

Le fils en revanche – bien que très occupé à la veille de partir pour New-York et avec encore tout plein de commandes à préparer – me consacrera plus de 2h de son temps, en cette magnifique journée d’automne.

Bonne pioche ?

Plutôt, oui.

Pline le Jeune sur le carton, check.

DE LA RENAISSANCE D’UNE APPELLATION À LA NAISSANCE D’UN DOMAINE

Les 12 minutes 30 seront bien optimisées : j’ai droit à un exercice de synthèse mémorable sur l’histoire de l’appellation Côte-Rôtie, et la création du domaine Rostaing dans tout ça.

Et, au fil de ces explications de René Rostaing, je parviens à grappiller quelques informations sur SON histoire à lui (Bah oui, sinon je peux aussi rester dans mon fauteuil et potasser gentiment sur la genèse des AOC). Pas facile-facile, mais je finis par comprendre qu’il n’a pas du tout suivi un parcours en ligne droite vers la vigne, lui le vigneron ex premier clerc de notaire qui a tout fait pour passer un doctorat et raccourcir son service militaire. Et puis il est trop heureux de m’avouer sa passion pour le latin (« Ah ! Traduire Cicéron et lire Plutarque dans le texte ! »), lui, le « jeune retraité » fraîchement réinscrit à la fac… « quand mon fils me laisse un peu de temps libre ».

Il suffit de le regarder pour comprendre que plusieurs mots dissonent dans cette dernière phrase : malgré la charmante polaire des années 70 et le bandeau de ski, on ne me la fait pas (Oui, René, il aurait mieux valu me laisser prendre la photo, en description, c’est encore plus risqué): papa Rostaing est encore à plein temps au domaine, même si effectivement, ce n’est plus lui le gérant officiel. Une retraite de la direction, pas de l’activité.

Et concernant son temps libre, je suis prête à parier que ce n’est pas le fiston qui dirige son emploi du temps… En revanche, pour ses compagnons de lectures, aucun doute, ses yeux pétillent beaucoup trop à leur simple évocation : c’est du sérieux. Un renversement de vapeur, pour cet homme qui, au cours de ses années de juriste, consacrait ses samedi et dimanche à ses vignes.

Charismatique, malicieux, autoritaire, voilà mes quelques impressions suite à cette rencontre éclair.

LE CREDO FAMILIAL : UNE PREMIÈRE VIE AVANT LA VIGNE

Quand je retrouve Pierre en cave, il me demande où son père s’est arrêté dans la présentation du domaine. Vaste question. Je n’ai pas vraiment le tournis, mais cette sensation d’en avoir appris à la fois beaucoup et très peu à la fois.

Je botte en touche : « On a fait très général, raconte moi, toi, ce que tu veux me dire ».

La balle dans son camp, Pierre s’emballe vite sur la technique. On sent le scientifique, l’homme précis et méticuleux qui laisse peu de place au hasard. De fait, j’apprendrai au fil de cette rencontre qu’avant d’arriver au domaine en 2014, il a lui aussi connu les joies d’une carrière citadine. Maths sup’, maths spé, Centrale (avec en parallèle, un bac pro de la vigne et du vin à distance, des fois qu’il s’ennuie), puis une première carrière chez Accenture, avant de démissionner et passer un diplôme d’oenologue à Montpellier.

Et tout d’un coup, cette question : « Mais tu veux déguster ? »

Oui, avec plaisir.

C’est drôle, on ne boira que plus tard, mais le fait d’avoir ces verres en main, et d’avoir à s’activer pour les remplir, et c’est comme si la discussion d’un coup prenait un autre ton, et que mon hôte était plus serein.

Je ne voulais pas débarquer trop brutalement ici

Alors il a fait ses armes ailleurs. D’abord dans le Gard, sur le village de Langlade où avec un ami son père a développé un autre vignoble (Cf. leurs cuvées « Puech Noble”), puis à Meursault, au domaine des Comtes-Lafon. Depuis son retour pour les vendanges 2014, il s’approprie progressivement le cycle complet du métier : dans la vigne d’abord, puis la vinification de son premier millésime fin 2015, et cette année, après les 2 ans de vieillissement en fût, la commercialisation de ses premiers vins.

LA SYRAH, CETTE GRANDE DAME DE LA CÔTE-RÔTIE

Car on est ici sur des terroirs longs, où les vins exigent la patine du temps pour révéler tout leurs charmes.

Ampodium, La Landonne, Côte Blonde… 3 cuvées de syrah avant de déguster les blancs du domaine : Les Lézardes (100 % Viognier) puis le Condrieu.

Ainsi je goûte les vins de 2016 qui vont gentiment patienter encore un an en fût : ça fait longtemps que je n’ai pas savouré une belle Syrah et cette future cuvée Ampodium me séduit illico, malgré sa jeunesse.

Cacao, cuir… le nez est puissant sans être exubérant, on le devine avant même de rapprocher son verre.

C’est au moment où je commence sérieusement à ne plus sentir mes orteils dans cette cave où la température ne doit pas dépasser les 9°C et à lorgner sur les chaudes chaussures de Pierre que je me risque :

« Et… on aurait le temps d’aller voir un peu les vignes? »

Ils me font quand même bien rire, ces vignerons.

Ils peuvent s’étendre sur le distingo entre maturité alcoolique/phénolique, te narrer l’aventure de leurs pH aux dernières vendanges, mais ils en oublieront de te montrer le truc le plus exceptionnel qui fait leur quotidien : leurs vignes !

Surtout qu’ici, au coeur de la Côte-Rôtie, c’est… vertigineux. 

La pente est bien souvent à plus de 80 %, le ciel est aujourd’hui bleu immaculé, et les vignes portent leur dernière tenue de gala de l’année, celle de l’automne flamboyant.

Tout simplement magique.

Ici c’est 1,5 hectare pour une personne. Dans le Languedoc, en moyenne, le ratio est de 10 hectares pour une personne. (Et pas de retouche photo hein, c’était COMME ÇA)

Et, tout naturellement, Pierre se révèle encore sous un autre visage : le voilà à dévaler le coteau pour me montrer tel pied de 90 ans, tel bout de silex de plus de 34 millions d’années, et moi qui m’accroche aux échalas pour ne pas glisser.

Je comprends mieux sa question, au moment de prendre la voiture, sur l’adhérence de mes chaussures.

Réponse (a posteriori) : nulle.

Merci Pierre pour cette jolie prise de relais.

Merci René, et chapeau bas.

 


UN PEU DE RAB ?

PETITE HISTOIRE D’UNE APPELLATION

Si la viticulture s’est développée dans cette partie septentrionale du Rhône, c’est finalement une histoire assez récente : jusqu’au grand-père de René Rostaing, on vivait encore en quasi autarcie, via la polyculture de son bout de terrain. Le vin ne s’est finalement distingué qu’à partir de l’entre-deux guerres, avec une double prise de conscience : il y avait là une vraie distinction avec la patate ou l’abricot… on avait là un produit plus intemporel, qui pouvait se bonifier avec le temps, qui était la traduction d’un terroir et d’un savoir-faire ancestral. Avec en plus la possibilité, bien plus que pour le maraîchage, d’exporter le fruit de son travail…

Petit à petit, le vin a pris la tournure qu’il a aujourd’hui, celle d’un produit haut de gamme.

Ajoutez à cela le boom des produits phytosanitaires, dans une région où rien n’est mécanisable… Et vous comprendrez le véritable essor de cette région de la Vallée du Rhône dans les années 1960-1970. René Rostaing a été le contemporain de cette période-là, avec la création de son premier millésime en 1971.

Aujourd’hui l’appellation couvre 300 hectares, elle a doublé de surface en moins de 50 ans. Chez les Rostaing, on cultive 10 hectares au coeur des secteurs les plus côtés, comme Côte blonde ou La Landonne.