Un peu artiste, un peu savant-fou, rencontre avec Paul-Henry Pellé, vigneron à Menetou-Salon

Paul-Henry n’est pas de ceux qui aiment se mettre en avant.

Il a à peine 30 ans, mais est déjà aux commandes du navire familial depuis 7 ans. 

Maman Pellé n’est jamais loin, mais elle a lâché (un peu) de lest depuis quelques années.

Et de fait, cela fait déjà 21 ans qu’elle s’est retrouvée seule, du jour au lendemain, à la tête d’un domaine qui produisait alors près de 600 000 bouteilles par an.

Le droit de souffler, elle l’a largement gagné.

La disparition brutale de son père, quand il avait 9 ans, Paul-Henry n’en parlera qu’à demi-mots. Discret, pudique, il préfère orienter la conversation sur l’histoire du domaine, sur la richesse de ces terres de Menetou-Salon…

Et surtout, il vous emmènera, sans autre forme de procès, déguster les vins du domaine Pellé… ses vins.

L’occasion de comprendre un peu qui est ce jeune homme timide, aux allures de savant-fou-skateur-à-la-mèche-folle.

Ici, c’est simple : le blanc, c’est du Sauvignon, le rouge, du Pinot noir. Et c’est là que c’est magique : un seul cépage, et tant de diversité…

On attaque par les vins rouges : Les Bornées, Morogues, le Carroir, les Cris… Je découvre le puzzle que représente cette minuscule appellation du Centre, et ces noms de parcelle d’une folle poésie.

À propos de Morogues justement, il insiste :

« Morogues, c’est vraiment l’identité du domaine » 

Ce terroir-là, est à 50 mètres plus en altitude que le village, c’est une zone plus fraîche, plus sur des calcaires.

J’ai déjà entendu des dégustateurs parler de vins qui « pinotent », pour exprimer la finesse et la complexité d’un vin qui leur rappelle le Pinot noir… Et bah moi ici, je trouve que ça « grenachouille »* !

Paul-Henry se dévoile peu à peu. Il est d’une douceur infinie, le regard posé et les gestes sûrs.

Tout en maniant la pipette avec dextérité (le truc qui me fait toujours kiffer), il lâche (enfin !) quelques infos…

« Moi, petit, je voulais être vigneron ».

Et lors d’un stage incroyable en Bourgogne, auprès d’Olivier Lamy (domaine Hubert Lamy), c’est comme si cette vocation était née une 2ème fois : « Je veux être vigneron », répétera-t-il, cette fois avec la force de conviction de celui qui a grandi, et dont la prise de conscience de la réalité du métier rejoint le rêve d’enfant…

Les Ratiers, les Blanchais, les Bornées, Carroir, Morogues… Menetou-Salon, c’est une multitude de terroirs, une véritable petite Bourgogne du Sauvignon pour celui qui veut travailler en parcellaire…

À son retour au domaine, il est bourré d’envies : « Quand je suis revenu en 2007, j’ai voulu tout convertir en bio… » 

Une noble volonté, mais un peu ambitieuse pour un domaine de cette dimension, qui plus est dans une région si sensible aux maladies de la vigne et aux aléas climatiques…

Et de fait, 2007 et 2008 seront de grosses années de mildiou, et 2009 fut encore plus terrible, avec en cerise sur le gâteau un épisode de grêle conséquent. Les rendements avaient beaucoup trop chuté, il en allait de la survie de l’exploitation…

Paul-Henry fait marche arrière et annule sa demande de certification*.

Depuis, il n’a rien redemandé côté label, mais est enfin parvenu à supprimer totalement l’usage de produits phytosanitaires, il a divisé la production par deux, en travaillant sur des rendements beaucoup plus maîtrisés : « Le but, c’est plutôt de réduire la voilure ».

Produire moins, mais mieux.

L’envie de voyager, de travailler dans un vignoble étranger, comme l’ont fait ses copains de Bourgogne ou d’ailleurs, oui, lui aussi est animé par ces désirs-là. Mais c’était ça ou une passation en douceur aux côtés de Julien Zernott, le régisseur du domaine depuis le décès de son père. Il a choisi la douceur.

Cette voie du bio, c’est l’une des nombreuses empreintes de son parcours, avec notamment ces 5 années à Beaune, dans cette fameuse promo où il a fait partie d’un petit noyau dur de fous de la dégustation (où il rencontre Géraldine, du Clos Maïa ! #smallworld #bestfriends) qui se sont vite rendu compte que ce qui leur parlait le plus, les vins qui leur procuraient le plus d’émotions, c’était ceux cultivés « proprement »…

La dégustation continue sans répit tandis que nous discutons… Les Cris 2014 (une cuvée pas encore à la vente « On essaye de prendre du recul sur tout ça »), Les Cris 2013 (un millésime très compliqué, qui selon Paul-Henry « part sur l’évolution ». Il est déçu, moi j’adore. Le nez est confit, c’est surprenant.), et Le Carroir 2014, issu des vieilles vignes plantées par son grand-père, en sélection massale, sur des silex. Une rareté dans le coin : 80 ares, avec un rendement très faible, de l’ordre de 20 hl/ha !

Paul-Henry est allé encore plus loin : pas de souffre pour ce vin, et une vinification dans la dentelle : « J’ai mis longtemps à comprendre les vinifications : ici, par exemple, je vais très doucement, je ne fais que 2 semaines de macération, tandis que la moyenne pour les autres cuves c’est plutôt autour de 3-4 semaines ».

On passe ensuite aux blancs (#restonsconcentrés) : j’ai un véritable coup de coeur pour Les Blanchais 2015, d’une rectitude sidérante. Une cuvée que son père avait décidé dès 1981 – une longueur d’avance sur les pratiques d’aujourd’hui – de vinifier séparée des autres parcelles. Un terroir de marne, de silex et d’argile, avec encore une fois de vieilles vignes en sélection massale.

On papote, on papote, et on poursuit la dégustation dans l’oenothèque puis dans la cave voûtée : Les Ratiers 2008, à la fois végétal et rond, nez tout bonnement incroyable… Fruit, fumé, pointe de piquant.

On touche ici à ce que recherche Paul-Henry. Il ne cesse de le répéter pendant notre rencontre : « Il faut travailler sur l’identitaire ». 

Lui qui travaille dans l’ombre de la célébrissime Sancerre (d’ailleurs du Sancerre, il en a aussi, mais il oubliera de me le faire goûter!), il veut révéler la richesse de Menetou.

D’où cette nouvelle cuverie aux contenants de différentes tailles : dans la mesure du possible, progressivement, Paul-Henry veut tendre vers des cuvées toutes très différentes, pour donner à voir, à sentir, à goûter ce village de Loire où il est né. « Cette cuverie, ça fait 10 ans que j’en rêve… »

« J’ai un beau joujou, mais je n’ai pas le droit de m’en servir ! »

Dire qu’il s’agite serait exagéré, mais c’est vrai que, quand il s’agit de découvrir la cave, il semble animé d’une autre énergie… Et pourtant, il pourrait être éteint : l’année dernière, alors qu’il venait enfin de rénover l’ensemble de l’exploitation en s’équipant d’une cuverie flambant neuve, patatra ! Gel catastrophique, il a perdu 85 % de ses raisins.

2016 ? « Une année où l’on travaille sur la frustration », dira-t-il en plaisantant.

N’empêche… ça fait un pincement au coeur, quand on découvre cette installation magnifique, et que l’on constate que les cuves… sont vides.

Paul-Henry est surprenant : derrière son flegme apparent, il réserve bien des surprises. Et notamment cette cabane qu’il a entièrement construit de ses mains, où il organise tous les étés avec sa soeur, Mathilde, une grande fête annuelle.

L’occasion d’un déjeuner au vert, presque irréel de poésie…

Il se met soudain à pleuvoir violemment : Paul-Henry devient nerveux, s’inquiète pour ses vignes. Mais il admet qu’il a eu beaucoup de chance en 2017 : alors que les voisins de la Touraine ont eu de grosses pertes avec le gel fatidique d’avril, il est passé entre les mailles du filet. Et en ce début d’été, la nature est éclatante « La vigne, là, elle kiffe sa life ! ».

On parlera aussi de l’île Tudy, de planche à voile, de cette communauté laotienne de réfugiés politiques embauchée par le grand-père et qui est toujours fidèle au poste…

Une rencontre qui aurait pu se prolonger longtemps, s’il n’y avait pas eu cette contrainte de rentrer sur Paris (#fichuTrain #parenthèseenchantée)

« Il faut se donner des objectifs sur un millésime… c’est là que tu révèles ton côté artiste » (#jelesavais #savantfou)

Merci Paul-Henry pour cette dégustation d’anthologie – OK, j’avoue, mois aussi j’ai eu besoin de faire la sieste – et cet échange si précieux.

 


 

*Oui, je retrouve ce qui est propre à sa majesté le Pinot noir – une certaine finesse, une subtilité particulière – mais j’ai là aussi toute la gourmandise et la rondeur du grenache. Et une acidité marquée, qui me fait saliver…

**Rappel : il faut 3 ans de conversion pour l’obtenir…