« C’est important de se perdre »
C’est par ces mots d’Olivier Klein que je suis accueillie au domaine de la Réméjeanne, ce lundi 20 février 2017.
De fait…
Pour venir jusqu’ici, il vous faudra d’abord affronter des lacets de routes de campagne, des chemins de vigne cahoteux, et potentiellement risquer de finir en accordéon dans un virage serré avec un poids lourd de 220 mètres qui arrive en face (mais comment est-il arrivé jusqu’ici ???). Puis faire au moins un demi tour devant la cohorte de chasseurs en tenue fluo, réunis pour leur casse-croûte matinal, et qui observent en riant cette Clio parisienne et sa bonne femme au volant.
Une fois arrivée, vous devrez faire face à un soleil à la limite de l’indécence (#bluesparisien), puis, très vite, au sourire juste parfaitement contagieux d’Olivier.
Nous y voilà. Bienvenu à Sabran, joli village du Gard, à l’extrême bordure du Languedoc. Moins de 20 kilomètres à l’Est, le Rhône.
En somme, en haut de cette colline, il n’y a qu’eux. Et leurs vignes.
Illico, Olivier me propose une promenade. Direction la Lune.
Un véritable dôme, situé au sommet de la colline (300 mètres d’altitude !!), de près de 5 hectares : une parcelle joliment arrondie, « dont on ne voit jamais toutes les faces », au sol aride, presque blanc. Une parcelle dangereuse, avec sa pente imprévisible, et son exposition au Mistral : « Faut pas être dépressif pour travailler ici ».
Il nous a bien fallu 20 minutes de marche pour arriver là.
Dans la côte, on a fait connaissance, et Olivier m’a déjà montré un magnifique point de vue, duquel on peut voir la grande majorité de leur vignoble de 35 hectares, quasiment d’un seul tenant. Une chance inouïe pour n’importe quel vigneron (c’est quand même plus pratique de ne pas multiplier les trajets pour aller bosser), et un atout inestimable quand on veut travailler en bio.
Justement, le bio, on en parle : la transition s’est faite à partir de 2007, suite à une histoire très drôle de touristes et de cigales… Je vous laisse soudoyer Olivier pour en savoir plus 😉 .
Quoiqu’il en soit, la prise de conscience qu’il faut prendre soin des sols, de la végétation, de la faune et de la flore n’a jamais cessé de croître…
Il y a 3 ans, Olivier a suivi un colloque passionnant sur la biodynamie donné par Pierre Masson. Il échangeait déjà beaucoup avec des vignerons amis sur leur approche de cette philosophie de travail, leurs difficultés, leurs résultats. Après avoir bien mûri sa réflexion, c’est décidé, il se lance : 2017 sera l’année de ses premiers essais. Il a hâte. Il hésite encore sur la parcelle à tester. Il lui faut trouver celle qui a justement besoin d’un souffle nouveau, pour que l’expérience soit valable. Il a sa petite idée, il sourit.
Notre conversation est décousue, naturelle, joyeuse.
Sa famille pied-noire, le gel de 56, son expérience dans la Napa Valley, la confiture de figue de sa grand-mère, la part commerciale du métier, l’activité racinaire de ses vieux pieds, les dommages collatéraux des ayatollahs des vins natures (et là, j’ai le sentiment de vivre un truc incroyable : je perçois de la colère chez ce grand brun à la bouille d’ange. Véridique. Les extrémistes, quelque soit leur bord, c’est pas du tout son truc : « ça me met hors de moi ».)… On mêle tous les sujets. On reprend le fil, on le reperd…
Sans interruption aucune, il m’entraîne ensuite dans son espace à lui, son terrain de jeu privilégié : la cuverie.
À le regarder me présenter les cuves, les barriques, le baudrier (oui, ici, on s’accroche pour piger ! #jeVEUXlefaire!), le pressoir tout bien rangé… je le sens plus que dans son élément. Il me raconte, les yeux de plus en plus malicieux, l’excitation des vendanges, l’angoisse du lancement (« papa les voisins ont commencé !!!! »), l’exaltation devant la multiplication des levures indigènes, la jouissance de cette cuve pressée à l’ancienne, aux pieds…
Et puis, le plaisir, si grand, de la nouveauté : chaque millésime a un nouveau visage, et le vinificateur doit savoir s’adapter. Bien que la vinif ‘ soit devenue son domaine de prédilection, il n’hésite pas une seconde : « 70 % du boulot, c’est les vignes. En temps… mais aussi en importance. »
Pour lui, amoureux de la Bourgogne où il a passé quelques années de formation, le challenge c’est de réussir à transmettre dans ses vins le caractère de son terroir… tout en remettant en question les méthodes ancestrales qui tendent à des vins archi-tanniques et parfois bien trop lourds. Il parle d’extraction douce, de cocotte, de patience… C’est beau.
Pour lui, cette façon de chercher des vins plus fins, plus délicats, va devenir une réponse indispensable face au réchauffement climatique.
Et de citer le Dieu de la Bourgogne, Henri Jayer : « À chaque fois que vous touchez votre vin, vous lui enlevez quelque chose ».
Silence.
Regard sondeur.
« Ça veut tout dire ».
Quand, un peu plus tard, je déguste les bébés du domaine, sa remarque sur son amour des vins de Bourgogne me revient comme un boomerang dans la figure. Cette cuvée Les Arbousiers 2013, à 50 % Syrah / 50 % Grenache, c’est le Sud, c’est, en même temps, soyeux, profond, et c’est aussi… une complexité qui me fait oublier de cracher. Oups.
Olivier, qui se dit « en pleine passation » avec son père, c’est ça : un homme d’aujourd’hui, qui avoue être dans sa phase pitch à l’abricot (#grandenfant) et qui, en même temps, a une conscience aigüe du monde.
Un de ces vignerons qui vous laisse les bras ballants de complexes : il revient d’une tournée avec des importateurs du Grand Nord – 4000 km en 6 jours (#1pointpourtoi #privatejoke) – manage au quotidien une équipe d’ouvriers viticoles, adore aller piocher le chiendent à la fraîche « avant d’aller bosser », et vous explique en toute décontraction les subtilités du SO2 combiné ou libre.
Et sympa avec ça.
Soudain, mon regard tombe sur l’heure… Diantre ! Cela fait 3h30 que je suis ici !
Je m’échappe à regret de ce petit îlot de nature pour reprendre en vitesse ma route en lacets, la tête fourmillante de ce canevas de réflexions auquel il va me falloir à présent donner un sens…
C’est vrai que c’est bon, de se perdre.
*Si un généreux mécène tombe sur ces lignes, vous pouvez contacter Olivier ICI 😉
Les Arbousiers 2015 : un blanc acidulé, avec cette note de rondeur qui apporte la longueur nécessaire. Joli.
Chèvrefeuille 2015 : un rouge très souple, mais une structure qui se tient, j’aime beaucoup.
Les Genévriers 2013 : plus confit, vin issu de vieilles vignes de 60 ans.