La simplicité même. Quand j’appelle Emmanuel Rybinski pour prendre rendez-vous, on se tutoie immédiatement, et je suis invitée à rester déjeuner.
Gros retard de ma part (la vraie fautive : la taille Poussard conjuguée à la passion de Domino 😉 ), et voilà le planning qui bascule : il est déjà l’heure de déjeuner, on fera la visite après.
C’est donc en parfaite inconnue et un tantinet gênée de tout chambouler que je me retrouve d’emblée dans la cuisine d’Emilie et Manu.
On s’attable en papotant, on fait connaissance tout en débouchant une première bouteille : un jus de raisin 2012, maison évidemment. Manu vient de tomber dessus et face à ma curiosité, décide de l’ouvrir, bien que peu convaincu de sa buvabilité. Il faut dire que sans alcool pour le protéger du vieillissement, mais sans aussi tout ajout de conservateur, l’évolution de cette cuvée est des plus périlleuses. Pourtant c’est bon, avec encore ce qu’il faut d’arômes primaires, sur le fruit, bien qu’ayant perdu un peu de puissance.
Le ton est donné : ici on tourne le dos à la chimie, on travaille avec la nature et rien d’autre. Quand je pose la question de l’origine de ces jolies convictions, c’est Emilie, dans sa magnifique robe fruitée, qui me répond :
C’est en devenant parents que l’on s’est intéressé davantage à la provenance des produits, à notre assiette, à l’écologie.
Ou quand la parentalité sert de déclic citoyen. Chic !
Des enfants, Manu et Emilie en ont trois. Quatre, si on compte le domaine, dont ils sont aussi les créateurs. La famille de Manu avait bien quelques vignes depuis 1987, mais ce n’était qu’une partie de leur activité : ils avaient aussi des céréales et faisaient de l’élevage, de canard notamment. Une exploitation assez typique de Cahors, où la diversification a pendant longtemps représenté une sécurité.
Quand il rejoint son père et son oncle, en 2004, Manu sait une chose : il veut être paysan. Et ce qui le passionne depuis quelques années, c’est le vin : il a pris le temps de voyager, et de se former auprès d’autres vignerons d’autres pays. Aux Etats-Unis et en Australie notamment, avec des domaines aux dimensions dantesques. Mais c’est chez lui, au coeur du Lot, sur cette zone que l’on appelle le plateau (en opposition à la plaine) qu’il veut s’installer.
Les terroirs d’ici, il veut les révéler. Exit le rouge qui tache et la réputation de vins rustiques et lourds.
Alors, dès le départ, il change les pratiques du domaine, qui s’appelle encore Cap Blanc : il veut travailler en bio et en parcellaire. Sa première cuvée ? K Or.
Un joli succès, avec notamment des notes plus que favorables dans la presse internationale.
Mais ce n’est pas simple d’être sur tous les fronts, d’autant plus en famille : l’oncle ne partage pas la vision de Manu ni de son père, une scission s’engage.
En 2008, c’est décidé, Manu créé le Clos Troteligotte.
Clos, car le coeur de son domaine ce sont 12 hectares ceints par un bois, un véritable îlot de vignes au sommet du plateau. Un bonheur pour qui veut travailler en biodynamie : pas de voisins pollueurs, une parfaite symbiose avec la nature environnante et la faune locale (à l’exception des chevreuils, bien trop gourmands en baies de raisin…).
Quant à Troteligotte, c’est le nom du lieu-dit : aussi charmant que singulier, le nom fut décidé à l’unanimité.
L’air de rien, Emilie amène une succession de plats aussi beaux que bon : une cuisine à tendance végétale et gourmande, autour des produits du jardin et des maraîchers locaux, une terrine aux incursions de foie gras à tomber, des légumes au four, un clafoutis frais et moelleux… avec en rythme la dégustation des vins. D’abord les blancs : K libre 2017 (Chardonnay élevé en jarre) suivi du Sauvignon 2016 ; puis les rouges : K Briole 2017 (Jurançon noir et Cabernet Franc), K Pot’ 2017 (Malbec), K Or 2017 (Malbec), K Lys 2015 (Malbec).
La discussion prend mille et un chemins, de l’histoire du domaine aux bonnes adresses parisiennes, de la création artistique à la demande en mariage de Manu il y a quelques années.
Pas besoin de vous faire un dessin : on se sent bien, chez les Rybinski.
Leur connivence déteint, et on ne peut que se sentir admiratif devant tant de générosité et de dur labeur. Je ne sais s’ils puisent leur énergie dans la force de leur couple (amoureux depuis leur 14 ans !) ou dans leurs vins diablement élégants, mais il a dû en falloir, de la fougue, pour construire un tel domaine en 10 ans : de la salle de dégustation gigantesque au chai flambant neuf, de leur maison au charme fou installée dans un ancien hangar, à leurs 3 enfants, ils ont eu plus d’un chantier en très peu d’années.
Et l’envie, elle, est toujours là : Emilie, qui a officiellement rejoint le domaine en 2010, s’enthousiasme de développer l’accueil aux particuliers, qu’il s’agisse des touristes ou des voisins : ainsi, deux fois par mois ils organisent de gigantesque apéro-dégustations, afin de réunir des amateurs de vins de tous les horizons.
C’est primordial ce contact : c’est une belle façon de se remettre en question, et de faire de jolies rencontres.
Manu quant à lui donne le sentiment presque paradoxal d’être un enfant dans un parc d’attractions, tout excité par ce nouveau foudre qui arrive au domaine au moment où je pars (« C’est carrément Noël ! »), et le sage qui a su observer les choses et en tirer des leçons.
Faire un tour dans les vignes avec lui est un magnifique cadeau : le lieu, déjà, est sublime. Comme un lac de vignes, une clairière paisible et enchanteresse, où l’on peut toucher du doigts ce que biodynamie veut dire. Comprendre ce travail de paysan dans sa globalité, penser la vigne non pas comme une plante mais la simple part d’une entité, bien plus grande.
Une des plus jolies introduction aux vins de Cahors.
Merci à Yann pour cette jolie recommandation 😉