À les écouter, les quatre Plageoles, on s’aperçoit qu’aucun n’avait initialement décidé de travailler dans le vin. Le plus impliqué finalement, c’est le plus jeune aujourd’hui : Romain.
J’ai du mal à le saisir le cadet : il vit à quelques kilomètres du domaine, et court partout, à quelques heures du salon annuel de Terres de Gaillac. On se connait sans se connaître, on se croise dans les dégustations professionnelles depuis quelques années, et j’en apprends d’abord plus sur lui grâce à son père :
Quand Romain nous a rejoint, c’est lui qui a imposé que l’on ait des réunions de travail. Et il a raison ! On est une famille, mais comme toute « entreprise », il faut des cadres et des moments dédiés à l’échange et aux mises au point.
Rigoureux, Romain ? C’était pourtant mal parti, comme il me l’explique enfin lui même, quand nous trouvons un créneau pour échanger tranquillement.
Au lycée je décrochais. Je préférais traîner avec les copains et fumer des pétards.
Pour le sortir de ce quotidien, ses parents le poussent à aller aux portes ouvertes du lycée viticole de Cahors. Un nouvel univers, dans une région voisine et pourtant bien différente : « J’ai adoré ».
Un orteil dans un cursus viticole… puis le pied, la jambe et tout le reste. Romain est celui qui a pris le temps de non seulement découvrir le vin et la vigne dans d’autres régions françaises, mais aussi celui d’explorer les autres facettes du monde du vin, les autres métiers que celui de vignerons. Ainsi, après un BTS commerce du vin à Bordeaux (où il rencontre Fanny !), il travaille près de deux ans dans le Rhône méridional : il participe aux vinif’ au Château Lanerte, puis passe une année à Vacqueyras auprès d’Eric Bouletin, alias Roucas Toumba, où il découvre réellement ce que signifie le travail des vignes. Enfin, il enchaîne sur une seconde année sur la même appellation mais à la Monardière cette fois : auprès de Christian et Damien Vache, il continue d’apprendre ce métier si complet, et notamment toute les subtilités des vinifications.
Besoin de voir du pays, d’apprendre l’anglais… il part ensuite pour Londres pour une année chez les cavistes et bars à vins du moment. Il ne le sait pas encore, mais il est en train de développer une chose essentielle, au-delà des amitiés et du réseau qu’il se construit : l’ouverture et la connaissance du travail d’une multitude d’autres vignerons, grâce à de très nombreuses dégustations. Un groupe qu’il retrouve et reconstitue en partie quand il revient en France, pour cette fois officier à Paris, dans une de ces institutions du vin nature, le Verre Volé. Après près de cinq ans loin de Gaillac, et deux ans loin des vignes, il décide, accompagné de Fanny, qu’il est temps de revenir. On est en 2014.
Bernard est pudique, il me racontera bien plus facilement le parcours de ses fils que le sien.
Il est aussi fin diplomate. Il racontera ainsi le travail colossal mené par son père, le courage qu’il a fallu à Robert pour oser faire ce que personne ne faisait. (On y vient… #teasing !!)
Mais il est honnête aussi :
J’ai appris le métier avec mon père… Mais c’est mon grand-père qui m’a transmis la passion.
On devine que son escapade de 10 ans n’est pas sans lien avec cette cohabitation difficile auprès d’un père charismatique et frondeur. Mais que, à l’arrivée, l’appel du terroir a été le plus fort… conjugué à cet amour pour ce grand-père disparu.
En témoigne cette cuvée de Syrah – « Une entorse à notre credo de ne travailler qu’avec des cépages locaux ». Une vigne que Bernard se refuse à arracher, car il s’agit de l’une des dernières greffées par Marcel.
On m’avait dit, quand je me suis installé, que j’allais manger des patates… Eh bien je pensais pas que j’allais en manger aussi longtemps !
Oui, ce n’est pas parce que l’on débarque sur une exploitation familiale que tout est acquis. Il y a encore un travail gigantesque à faire pour faire valoir les vins du domaine Plageoles et en vivre… Et le contrat le plus fragile, c’est celui avec la Nature.
En témoigne le gel de 1991: en deux nuits, celles du 23 au 25 avril, Myriam et Bernard perdent tout.
Heureusement, les ventes du domaine sont plutôt bonnes à cette période, notamment grâce à un joli coup de pouce médiatique quelques années auparavant : Jean-Pierre Coffe, officiant alors dans le direct de Michel Denisot sur Canal+, avait soudain saisi la bouteille de Mauzac nature – l’un des emblèmes du domaine Plageoles – et fixé la caméra :
Monsieur Plageoles, je ne vous connais pas mais je vous aime.
Le début d’une amitié.
Et puis, cette année tristement mémorable de 1991, un autre focus du petit écran, avec cette fois un reportage d’Envoyé spécial directement au domaine : « Ça a été une petite fusée pour nous ! ».
Il ne précisera pas comment, mais il insiste : il voulait à tout prix ne pas reproduire l’histoire, éviter tout conflit, et laisser la place à ses fils si jamais ils désiraient un jour rejoindre le domaine.
Et bien avant ça, une règle :
Avec Myriam, on en avait beaucoup discuté. Pour nous, c’était primordial de dire à Florent et Romain « Surtout vous faites ce que vous voulez. Ne vous sentez pas obligés de faire ce métier-là ».
Mais voilà, les garçons sont piqués de cette même passion familiale, et reviennent, l’un après l’autre. Grâce à Jérôme donc, leur arrivée se fait en douceur. Les caractères sont forts, chez les Plageoles, le respect aussi. C’est ce qu’on ressent en tout premier lieu quand on rencontre n’importe lequel d’entre eux : l’admiration pour le travail des autres, l’humilité de mettre en avant les générations précédentes… et le travail d’équipe.
Néanmoins, apprendre à déléguer le travail d’une vie, ce n’est en rien naturel. Ce que Robert a plus que rechigné à faire, Bernard l’a réussi :
Je les ai lâchés en 2014 pour les vinifications, en 2016 pour les vignes. Avec une consigne : « Faites le vin dont vous avez envie ».
Des vins que Bernard me fait ensuite déguster, non sans une once de fierté.