Jean Foillard, pape en son domaine

« Bon, on va boire un coup ? »

On m’avait prévenue. « Jean, tu ne pourras pas écrire un article sur lui. Il ne te fera pas visiter, il ne t’expliquera rien ».

Indeed.

Quand je débarque en ce premier lundi d’octobre, c’est la fin de journée.
Il faut aller au fond de la cuverie pour trouver Jean, qui pilote l’élévateur pour charger les derniers raisins dans le pressoir… en chemise repassée et petit pull à col V.

En tenue d’ouvriers, la peau tâchée de tanins jusqu’aux coudes, ses deux fils et une stagiaire. Une bretonne arrivée là par hasard il y a 13 ans, pour gagner des sous et faire les vendanges.

Elle n’a loupé aucune campagne depuis. Et cette année, elle commence une formation en viti-oeno.

Mais ça je l’apprendrai plus tard. Car aussitôt aperçue, Jean termine sa manœuvre et nous emmène hors de la zone de production. Je n’en verrai rien de plus.

Nous voilà donc attablés dans la cour. Jean dégaine les premières quilles, ce sont celles réalisées par son aîné, Alex.

Le père ne dit rien.

Il ne dira pas ce qu’il pense de ces vins, le tout premier millésime du fiston. Il tendra les crachoirs, mais s’en passera.

Il ne lâchera pas un compliment, mais glissera entre deux banalités que le garçon est ici salarié, pour continuer de se former et se payer ses 2 petits hectares en autonomie.

On fait pas dans le bisounours, dans l’Beaujolais.

Alex Foillard, face à son tout premier millésime.

Quand il s’agit de passer « aux choses sérieuses », il me sonde sur ce que j’ai envie de déguster « Bah tes vins ! » (Non, ce n’était même pas acquis).

Et puisqu’on me demande, j’ose : s’il y a des millésimes plus anciens, je suis curieuse de goûter, c’est ma première fois dans le Beaujolais…

Trois conclusions à cette dégustation :

  • Oui, le Beaujolais vieillit bien.
  • Non, ne peut pas s’improviser qui veut dégustateur dans le Beaujolais. Ces vins sont à la fois simples et accessibles, complexes et sophistiqués.
  • Les bouteilles ont un grave défaut de fabrication. Impossible qu’elles contiennent les 75cl réglementaires. Ou alors il y a un problème d’évaporation. Enquête à mener.

Jean Foillard, c’est un sale caractère (« Si je trouve ce con qui a bradé mes vins sur ce site, je te jure, il n’aura plus une seule quille ! ») conjugué à une hospitalité sans retenue « Vous restez dîner, pas le choix », et à une rigueur gonflée d’autorité.

Je le vois ainsi surveiller son fils, qui au cours du dîner fait le récapitulatif des analyses du jour. Il passera ensuite un bon quart d’heure à relire et tout vérifier, petites lunettes chaussées sur le nez. Quitte à louper un bout du plateau de fromage qui circule alors.

Pour cerner Jean et ce condensé de mystères savamment entretenus, il faudra donc se contenter de chaque détail : la nonchalance de sa femme Agnès, qui nous cuisine comme ça ni-vu-ni-connu un dîner aux saveurs inimitables, et qui sera l’air de rien aux petits soins pour que chacun ne manque de rien ; il faudra observer les étoiles dans les yeux de ma voisine de table, oui la Bretonne. Elle aussi semble avoir convenu d’un pacte tacite pour ne lâcher aucune info digne de ce nom… mais elle trahira une chose : on se sent bien, chez les Foillard, quand on fait partie de la bande.


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