Difficile de cerner Monsieur Cazottes.
Il est ce monument, celui dont le nom est utilisé comme synonyme de fin de repas, cet homme qui fraie allègrement avec les plus grands chefs étoilés de la planète, ce businessman aux multiples affaires*.
Mais il est aussi Laurent, tout simplement : mon voisin de droite dans ce petit bistrot du 19ème, à la veille d’un salon du vin nature il y a près d’un an.
Une grande tablée de vignerons, et puis lui, la mine paisible et souriante, qui me raconte que son nom vient de l’occitan :
La « cazotte » c’est une petite cabane au milieu des vignes.
Un an plus tard, m’y voilà au milieu des vignes. Entre vergers et champs de tournesols aussi, Laurent m’accueille chez lui, à Villeneuve-sur-Vère.
Une vieille bâtisse, avec pour seuls voisins ses propres parents, âgés de 84 et 79 ans. Dans la cour, des bidons mystérieux, une grange ouverte avec une montagne de cagettes en bois, des outils un peu partout. D’autres bâtiments aussi, plus ou moins récents, pour abriter respectivement les bureaux, le stock de sa société de distribution, un caveau de dégustation, des machines.
Et puis un jardin, qui se confond avec les champs alentours : car l’homme n’est pas du genre monoculture. De la tradition locale, d’être paysan et éleveur, de vivre de plusieurs activités, il a gardé l’esprit de diversité. Pas de bêtes si ce n’est ses deux chiens, mais une véritable palette de plantes : arbres fruitiers, vignes, tournesols, tomates, herbes aromatiques, épices, chênes truffiers…
C’est le paradis de tout jardinier que de se promener chez Laurent Cazottes.
On est au mois de juillet, et je débarque pour 24 heures. En toute simplicité, Laurent me propose la chambre de son fils Mathéo, en vacances. Et en bon businessman, il enchaîne les rendez-vous, dans sa cuisine ouverte, autour d’un café.
Dans le canapé sa fille et une amie se gondolent devant des vidéos Youtube. Un après-midi de canicule comme les autres.
D’apparence quasi nonchalante, l’homme est en réalité sur tous les fronts : l’air de rien, il observe tout, est partout à la fois. Briefer cette employée qui part s’occuper des vignes, signaler une bouteille mal cirée à tel autre, saluer son père qui passe un arrosoir à la main et veiller s’il s’hydrate assez, accueillir ce neveu et ses amis qu’il a sponsorisés pour traverser l’Europe en 205 (Je rappelle qu’il faisait alors environ 72° – oui, j’ai le ressenti un tantinet marseillais – et que la tuture en question ne dispose bien entendu pas de clim’ (Photo dans la galerie en fin d’article). Quelqu’un sait s’ils sont toujours vivants ?).
Dispersé ? On le lui reproche parfois.
Laurent ne se dévoile pas facilement. Son histoire familiale, il me la récite comme un bon élève, ne lâchant que ce qu’il lui semble nécessaire. Il est issu d’une lignée de paysans, et il le revendique. Mais il est aussi un commercial né, qui aime se lancer de nouveau défis. Il l’assume haut et fort.
Conjugué à un amoureux du terroir, du bon produit – qu’il se boive ou se mange – et vous comprenez que Laurent ait très tôt décidé de défendre non seulement sa production, mais aussi celle de copains vignerons : d’où l’ouverture de cette boutique à Cordes, qui lui servait de vitrine pour expliquer sa démarche. Et puis, quelques années plus tard, une société, la Pangée : un clin d’oeil à ce continent mythique, qui aurait un temps réuni les cinq continents à l’ère Jurassique (Minute Préhistoire !).
Le credo ? Défendre et distribuer des vins de France, d’Europe, d’Afrique du Sud, d’Australie, d’Amérique du Nord et du Sud, avec en point commun le respect d’une agriculture saine, respectueuse des terroirs et du vivant. Oui, rien que ça. Jolie ambition, non ?
Aujourd’hui, Laurent est fatigué : l’année a été éprouvante. Ce soir, ce sont ses plus vieux amis qui sont auprès de lui : Fabien, Sophie, Fred. Un groupe soudé, tous installés dans le Sud-Ouest. En 1998, quand Laurent décide de devenir distillateur, c’est-à-dire de produire ses propres eaux de vie et ses liqueurs alors que jusque-là son père était bouilleur de crus – ils distillaient pour les autres – c’est cette même bande qui vient filer un coup de main et planter les premiers arbres fruitiers.
Laurent a l’intuition que, pour faire une bonne eau de vie, il faut se recentrer sur l’ensemble du procédé de fabrication. Pour son premier coup d’essai, il achète 2 tonnes de poires William, dont il enlève, aidé de sa mère, les pépins, la queue, le calice, puis les fait sécher et mûrir par passerillage.
Vous visualisez le travail ? Non ? Eh bien, c’est un peu comme si vous décidiez de tenter le montage d’un chapiteau de cirque tout seul, au lieu de vous satisfaire de la tente 2 secondes de Quechua. Oui, un peu fou, le garçon, mais il va jusqu’au bout.
Au culot, il monte ensuite à Paris, et présente sa première bouteille à deux restaurants étoilés : la Tour d’Argent, et le Grand Véfour.
On est en 1999, Laurent a besoin de savoir s’il est sur la bonne voie (oui, quand même, t’as le temps de douter un chouilla pendant l’équeutage de 2 tonnes de poires). Les deux établissements font plus que valider sa démarche : ce seront ses premiers clients… et ses premiers ambassadeurs auprès du marché parisien.
La célébrissime « Poire de Cazottes » est née.
J’avais besoin de me calibrer, de savoir si j’étais sur la bonne voie. Mais je leur ai dit : « Je fais ça pour vous les gars : c’est pour la gastronomie ces bouteilles. Les mariages à faire sont incroyables » C’est pour ça que j’ai été voir directement les 2 et 3 étoiles.
À partir de là, Laurent décide d’aller plus loin, et de produire sa propre matière première : il est paysan avant tout, il ne l’oublie pas. Et par-dessus le marché, il souhaite travailler en bio. Cette volonté lui vient de rencontres avec des vignerons qu’il cite comme des amis autant que des mentors : Plageoles, Cosse, Causse-Marines… De ceux qui sont aujourd’hui des stars du vin dit nature. Et si dans l’univers du vin, le bio représente moins de 20 %, dans l’univers des spiritueux, c’est moins de 5 %.
Laurent a le regard soudain pétillant, sa voix s’élève. C’est le coeur de son travail, de son histoire, dont on parle là ! Et de fait, qu’il s’agisse des céréales ou des fruits, le distillateur est non seulement rarement le producteur, mais en plus il accorde souvent peu d’importance à la méthode de culture de son approvisionnement. Au regard des douanes d’ailleurs, une liqueur c’est sucre + fruits + l’alcool. Sans autres exigences. Mais pour Laurent, le sucre est du sucre de raisin bio, les fruits sont en grande majorité issus de ses arbres et toujours en bio, et l’alcool est produit maison, c’est de l’alcool de vin.
Au vu de ces ingrédients de qualité, et grâce à la recherche des maturités optimales pour les fruits, il a décidé dès le départ de diminuer le taux de sucre : couramment fixé à 120 g/L, il l’a descendu à 70 g/L pour l’ensemble de sa gamme.
Petit à petit, au fil des heures et sous la chaleur écrasante de cette fin du mois de juillet, grâce aussi à tout ce petit monde qui l’entoure, je discerne d’autres facettes de Laurent… Bon vivant, il est d’une grande générosité, avec notamment un sens de l’hospitalité très fort : chacun a ses habitudes chez lui, et il y a plus de brosses à dent que de résidents officiels. On déguste sur la terrasse ombragée une salade de tomates du jardin, en rêvant déjà à la sieste de l’après-midi.
Plus que tout, Laurent est sûr de lui quant à la qualité de son travail. Aussi, il semble parfois un peu las de raconter, d’expliquer les efforts et les peines. Sa sensibilité paysanne, celle d’un homme de la terre, respectueux des anciens et soucieux de « faire bon », se heurte avec ses velléités commerciales.
Ben oui, dans notre imaginaire franchouillard, on est ci OU l’on est cela.
On ne mélange les torchons et les serviettes, on ne montre surtout pas son ambition de vouloir plus, de vouloir mieux. Encore moins de toucher à tout.
Celui qui défend ardemment ce qu’il appelle une « paysannerie crépusculaire », où justement la diversification était la clé, se retrouve en conflit avec l’hypocrisie française, où les termes « marketing » et « commercial » ne sont pas des jolis mots.
Pour ma part, j’ai rencontré un homme passionné. Un homme fonceur et prudent à la fois, qui ose et qui se trompe. Un paysan autant qu’un chef d’entreprise, têtu et gourmand, observateur et curieux. Avec, aujourd’hui, une volonté : pérenniser ce qu’il a créé.
Avant de monter son prochain chapiteau.
*Aujourd’hui, Laurent est à la tête de sa distillerie, d’une société de distribution, La Pangée, et l’associé de plusieurs restaurants.