[PORTRAIT]
Après avoir rencontré Marie-José Degas, je me suis dit « En fait, à côté, mamie D., elle est quasi sous calmant ».
Ceux qui connaissent mamie D., ma grand-mère, comprennent que Marie-José Degas, c’est de la dynamite. Elle n’y paraît pas comme ça, au tout premier regard. Joliment maquillée, la peau tannée par le soleil, le chemisier assorti à ses yeux clairs. Et puis, quand vous découvrez sa maison et son jardin, et que vous pigez qu’elle a tout fait elle-même, à partir de (presque) rien, vous la dévisagez plus sérieusement. Et quand vous apprenez qu’elle s’est retrouvée à la tête du domaine viticole, à 49 ans, sans rien connaître au métier, vous prenez votre courage à deux mains et vous lui dites : « Marie-José, il va falloir qu’on parle ».
Rarement un article n’a été aussi difficile à écrire. Car pour Marie-José Degas, le vin, ça a commencé par un drame : la perte de son mari, fauché par une voiture devant le chai, mort sur le coup.
À l’enterrement, les vignerons « amis » se précipitent pour les condoléances : « Vous savez, Marie-José, votre époux aurait aimé que ce soit moi qui reprenne telle parcelle » / « Si vous voulez, je peux reprendre tels hectares en fermage, ce serait plus simple pour vous » / « J’imagine que vous allez devoir revendre le domaine… je serais heureux de m’en charger vous savez ».
Il n’en fallait pas tant pour braquer cette femme de 49 ans, qui ne connaissait rien au vin et à peine le nom des employés de son mari. Mais c’est décidé. Elle se chargera elle-même du domaine, grand d’alors 30 hectares. Elle s’inscrit à la faculté de Talence pour reprendre des études en oenologie, et affronte son équipe de vignerons, alors exclusivement masculine.
Quand on lui demande ce qui a été le plus difficile, Marie-José parle de ce milieu d’hommes, où elle a plus que dû faire ses preuves :
« Parfois, ils étaient tellement durs avec moi, que j’en pleurais. Jamais devant eux, bien sûr ! Je rentrais chez moi, je tapais du pied sur le sol, et je repartais ».
Et puis, comme si ça ne suffisait pas : « Trois semaines après mon mari, j’ai perdu maman. »
Cette passionnée de nature ne trouve qu’une métaphore pour exprimer l’intensité émotionnelle de cette époque :
« C’est comme si vous avez un arbre, solidement accroché à un tuteur. Du jour au lendemain, non seulement vous enlevez le tuteur, mais en plus il y a une tempête. Une tempête qui dure des semaines et des semaines… L’arbre est très secoué, il va devoir aller chercher très loin, très profond dans le sol, pour s’ancrer et survivre ».
Au jeu des questions-réponses, Marie-José n’hésite pas une seconde : Le plus délicat dans la gestion du domaine ? « Les finances ! Je n’y connaissais rien ! » Le plus amusant ? « Le rapport avec les gens ».
Marie-José est loin d’être naïve. Quoiqu’elle dise, on sent qu’elle a le sens des réalités, et des affaires.
« À l’époque on vendait tout en gros volume, c’était plus facile. Le jour où j’ai embouteillé 2000 bouteilles, j’étais très angoissée… Mais comment vais-je vendre tout ça ? Aujourd’hui, Diane [sa petite-fille, qui a repris la gestion du domaine, cf. article dédié] a révolutionné l’économie du Château Degas, c’est extraordinaire ce qu’elle a réussi à faire ».
Quand je lui demande un grand souvenir, lié au vin, Marie-José n’hésite pas longtemps :
« C’était en 1989 je crois. J’avais fait un vin sublime. Tout s’était bien passé, les vendanges étaient extraordinaires, j’étais sûre de moi pour les vinifications… Je suis allée à Paris, pour des dégustations : je suis rentrées avec 3 médailles ! J’étais sur un petit nuage. Dans le pays, ça m’a imposé ».
Et les femmes ? « Il y avait beaucoup de respect et d’admiration de leur part. Mais vous savez, il n’y a pas de chance : il faut beaucoup de persévérance, une volonté sans faille. »
Et si aujourd’hui, elle avait 20 ans, et que tout était possible ?
« Petite, je voulais être hôtesse de l’air. J’adore voyager – et on la croit, elle arrive tout juste d’une semaine en Irlande, à explorer les jardins de l’île d’Emeraude, et elle était il y a quelque temps au Japon, pour une conférence mondiale sur les bambous (#sisi !) – mais j’adore revenir. Aujourd’hui, si je devais choisir entre un métier de contact, avec les gens, ou bien la terre, je choisirais la terre. Les gens c’est important, mais la base… c’est la terre ».
Et de fait, quand elle était encore aux commandes, c’était elle qui plantait le moindre nouveau pied de vigne, hors de question que quelqu’un d’autre ne s’en occupe à sa place.
Quand elle parle de ses petites-filles, Marie-José s’emballe :
« Je veux tout faire pour leur mettre le pied à l’étrier. Je ne voudrais pas vendre 1 cm2 de mes terres… Mais si c’est nécessaire pour elles, je le ferais ».
Et ses terres, elle les a bien agrandies : non seulement elle a réussi à conserver les 30 hectares de son mari, mais elle a su agrandir et diversifier la propriété familiale… jusqu’aux 100 hectares actuels. Mais tout ne s’est pas fait en un jour, et, alors que mon regard se pose sur son jardin et sa maison, elle ne manque pas de me le rappeler :
« Ce que vous voyez là, c’est le résultat de 60 ans de travail. »
Ce qu’elle résume en une formule, toute spéciale pour Diane et Eugénie : « On ne monte pas une échelle, comme ça. »
Pour quelqu’un qui continue de grimper à des dizaines de mètres de hauteur pour tailler un arbre à 81 ans, je pense que le conseil de prendre les choses les unes après les autres, pas à pas, est plutôt bon à suivre…
Ah oui, j’oubliais, ce que Marie-José ne dit pas, c’est l’extrême exigence qu’elle a avec elle-même (et, on le devine, avec les autres) :
« Je me lève à 6h30, tous les matins. Et je débauche rarement avant 22h. Mais à midi, je fais attention de prendre un pause : je me prépare mon petit plateau repas, et je choisis l’endroit du jardin ou j’ai envie de le déguster… La terrasse dans les arbres, le petit étang, le salon chinois-pas-chinois… »
La vie de Marie-José, c’est un film d’Almodovar, il faudrait plus d’1h50 ne serait-ce que pour appréhender le chemin parcouru, les émotions traversées, les rencontres qui ont tout décidé. Et puis, cette âme, si entière et si généreuse dans tout ce qu’elle entreprend :
« Je ne sais rien faire sans passion. Alors j’ai attaqué ça [la vigne, le vin], et j’ai aimé. Et puis, vous savez… faire quelque chose sans rencontrer de difficultés, c’est trop facile. »
Croyez le ou non, mais je ne pense pas avoir encore tout pigé de ce que Marie-José m’a transmis ce jour-là.
Pour voir davantage de photos sur le Jardin de la Souloire, vous pouvez visiter le site Internet, ou lire l’article sur mon weekend avec Diane :-).